Maroc : une pièce de théâtre brise le tabou de l’inégalité dans l’héritage

Narjis Rerhaye (A Rabat)

« Trez Lahsab », une broderie qui s’exécute au point près grâce à un calcul bien précis, est une belle métaphore pour raconter la part d’héritage des femmes en terre musulmane. Si « trez », la broderie, renvoie aux femmes exclusivement, « lahsab », ou calcul est foncièrement masculin. La portion congrue est réservée pour les femmes. Parce qu’elles sont nées femmes. Et parce que les hommes, ces exégètes du texte sacré, ont décidé de figer le texte, loin de toute tentative d’interprétation ouverte et adaptée au temps.

C’est justement à l’épineuse question du droit à l’héritage des Marocaines que Naima Zitan, la femme de théâtre féministe, a choisi de s’attaquer. La metteure en scène le fait à sa manière. C’est-à-dire en riant et se moquant. Parfois on grince des dents. On rit jaune aussi face à autant d’injustice bête et méchante Le rire est probablement la meilleure arme pour combattre les archaïsmes, les conservatismes et les obscurantismes. Cela a donné « Trez lahsab » que cette passionnée de théâtre originaire de Chaouen a mis en scène –grâce au soutien de l’Institut français- et qui a été joué mercredi 17 janvier sur les planches du théâtre national Mohammed V par la compagnie « Théâtre Aquarium ».

Sur un texte inspiré et souvent très imagé de Saïd Hammouche, la pièce de théâtre est d’abord une comédie. Une comédie de la vie qui entre deux éclats de rire dénonce l’inéquité et l’injustice faite aux femmes musulmanes inégales de l’homme dans l’héritage. Le « pitch » est une chronique du quotidien des femmes en terre d’Islam confrontées à la succession lors du décès d’un père ou d’un mari: Driss est décédé, laissant sa femme et sa fille derrière lui. Il n’a pas eu de fils. Son frère, Maati, avec qui il était en rupture, débarque le jour des funérailles. Il veut sa part d’héritage conformément à la loi musulmane. Peu lui importe l’évolution de la société, il croit dur comme fer que la femme n’est pas l’égale de l’homme. Une loi divine, dit-il, en a décidé ainsi. Maati, l’oncle rapace et misogyne est interprété de manière magistrale par l’acteur Abdallah Didane qui signe une vraie performance. Les acteurs, tous lauréats de l’Institut national d’art dramatique de l’action culturelle (ISADAC) servent avec beaucoup de talent à la fois un texte intelligent et une cause juste, avec une mention spéciale pour l’époustouflante Amal Benhadou dans le rôle de la tante, imbattable dans les proverbes puisés dans le terroir.

« Trez Lahsab » est aussi audacieuse dans son texte que ses mise en scène et scénographie. Comme à son accoutumée, Naima Zitan sait surprendre. La symbolique des chaises à trois pieds est très fortement évocatrice d’une société bancale sans le plein exercice des droits de ses femmes. Le public est pris à témoin, dans un tribunal qui ne dit pas nom, dans un face à face avec des comédiens qui racontent la vraie vie et doivent régler la succession après la perte d’un être cher. On rit. On applaudit. On réfléchit aussi. Naître femme n’est pas une fatalité. Encore moins une inégalité. Avant de mourir, Driss avait tout légué à sa femme et sa fille, laissant son frère Maati à sa loi islamique. Il y a des hommes encore plus égaux que d’autres…

En ces temps d’incertitude pour les femmes du Maroc, « Trez Lahsab »respire la liberté, secoue les textes figés et brise un nouveau tabou. Pour que l’héritage ne soit pas un calcul de broderie.

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