Anti-jihadisme : le piège de la guerre éternelle

Combattre les conséquences mais ignorer les causes: en se concentrant sur l’élimination physique des groupes jihadistes sans chercher à comprendre les raisons de leur naissance et de leur essor, l’Occident se condamne à une guerre éternelle, préviennent des experts.

"Au-delà des victoires tactiques sur le terrain, la stratégie menée actuellement est un échec", affirme à l’AFP Katherine Zimmerman, auteur pour l’American Enterprise Institute d’un rapport récent sur la question, intitulé "Terrorisme, tactique et transformation – L’Occident contre le mouvement salafiste-jihadiste".

"Tous les soldats sur le terrain ou les analystes de renseignement qui ont travaillé sur ce problème comprennent ce qui est en train de se passer", dit-elle. "Ils savent que ce que nous faisons, en Syrie, en Irak et ailleurs, n’est que du provisoire. Cela interrompt la menace immédiate mais ne stabilise rien, et ne fait pas avancer les choses".

"Dire: nous allons tuer ce fabricant de bombes artisanales, c’est facile", ajoute-t-elle. "Il est beaucoup plus difficile de dire: +notre gouvernement-ami a marginalisé le groupe auquel il appartient et c’est l’une des raisons pour lesquelles cet individu a rejoint un groupe terroriste. Et maintenant, il est devenu artificier+".

Défait sur le terrain en Syrie et en Irak, le groupe État islamique (EI) est retourné à la clandestinité et prépare les conditions de son retour, sous cette appellation ou une autre, puisque persistent les causes de sa naissance, à savoir le mécontentement d’une grande partie des sunnites irakiens et syriens, préviennent des experts.

"L’Occident est en train de gagner toutes les batailles mais de perdre la guerre", estime Mme Zimmerman.

– "Question de développement" –

Dans son analyse de "la menace salafiste-jihadiste" publiée le 20 novembre, le Center for Strategic and International Studies (CSIS), centre de réflexion de Washington, écrit que "même si les États-Unis et ses alliés ont affaibli des groupes comme l’État islamique, les causes sous-jacentes n’ont pas été réglées".

"La mauvaise gouvernance persiste dans les régions où opèrent les groupes salafistes-jihadistes. Un État fragile avec des institutions faibles ou inefficaces accroit la probabilité que des groupes insurgés ou terroristes puissent y établir des sanctuaires", ajoutent les experts du CSIS.

Ils ont superposé la carte des actions attribuées à Al-Qaïda, à l’EI et leurs groupes affiliés avec celle de "l’efficacité gouvernementale", basée sur les indicateurs de la Banque mondiale.

Résultat: la plupart des pays dans lesquels ces groupes sont actifs comme le Yémen, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, le Mali, le Nigeria, la Somalie, font partie des 10% des pays les moins bien classés dans la solidité des institutions.

Aujourd’hui président de la prestigieuse Brookings Institution, le général des Marines à la retraite John Allen a notamment commandé les forces américaines en Afghanistan et a été l’envoyé spécial du président des États-Unis auprès de la coalition anti-EI.

"Où devrions-nous chercher les prochains problèmes?", a-t-il demandé lors d’une conférence mercredi à Washington. "Nous devrions nous préoccuper davantage de ce que j’appelle les +points chauds+, les États fragiles ou défaillants".

"Ce sont des endroits où les conditions de vie conduisent à la radicalisation de larges portions de la population. Et souvent quand nous nous en apercevons, la radicalisation a commencé depuis longtemps", a-t-il ajouté.

"Vous pouvez être radicalisé et ne pas forcément devenir un extrémiste violent", a-t-il relevé. "Mais si vous devenez un extrémiste violent dans cette région, vous venez forcément d’une population radicalisée. C’est une question de développement, bien davantage que de contre-terrorisme".

Lors de cette conférence, organisée chaque année par la Jamestown Foundation, de nombreux intervenants ont pris l’exemple de l’Irak pour souligner les lacunes de l’anti-jihadisme. D’après eux, après la reconquête par le gouvernement de Bagdad des régions conquises par l’EI, si les griefs de la communauté sunnite – notamment la participation au pouvoir ou la présence et la puissance de milices chiites honnies – devaient ne pas être pris en compte, la résurgence d’une autre insurrection salafiste-jihadiste ne serait qu’une question de temps.

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