Un rapport de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française décrit le « mal vivre algérien »

Dans un rapport d’information de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française consacré à l’Algérie et adopté ce mercredi, des députés français décrivent le « mal vivre » algérien qui se caractérise par une « défiance absolue par rapport au pouvoir et à la politique ». « La mission d’information a été frappée par la méfiance manifestée par le peuple algérien à l’égard de ceux qui gouvernent le pays mais aussi de la politique en général », peut-on lire dans ce rapport, dont Atlasinfo a obtenu une copie, et qui a été réalisé par une mission d’information composée de huit députés.

Pour les députés, « Cette méfiance n’est pas anodine et créé un climat parfois pesant qu’on doit inévitablement prendre en compte lorsqu’on se penche sur l’Algérie d’aujourd’hui », soulignant que cette méfiance prend également sa source dans le sentiment qu’ont de nombreux algériens que « voter ne sert à rien et que quel soit le résultat des élections, rien ne changera », que l’opposition accepte les « règles de jeu » fixées par le pouvoir et que le « personnel politique ne se renouvelle trop lentement voire pas du tout ».

Ces facteurs, poursuivent-ils, affaiblissent la portée des scrutins organisés en Algérie et minent la confiance du peuple envers ses représentants ». « D’où des taux de participation aux élections relativement bas, alors que même que les chiffres officiels sont sans doute quelque peu artificiellement surévalués, aux dires de plusieurs de plusieurs interlocuteurs rencontrés. D’où également un désintérêt assez généralisé pour la vie politique algérienne et, dans le même temps, une vraie connaissance du jeu politique français (…) ».

Corruption, bureaucratie et incivilité

Sous ce tire, les députés notent que la corruption en Algérie est un « fléau très sérieux qui mine, aujourd’hui, le développement de l’Algérie et pèse énormément sur la vie quotidienne des Algériens, indiquant que Transparency international classe le pays à la 105ème place sur 176 dans le monde et à la 21ème place sur 50 pays en Afrique.
Rappelant que l’actualité algérienne a été nourrie par plusieurs scandales, le rapport des députés relève que « ces scandales à répétition ne sont pas sans conséquences sur l’opinion publique. Ils diffusent un réel sentiment d’injustice dont la mission d’information a pu se rendre compte au cours de nombreux entretiens. Ils incitent également les Algériens à considérer que toute la société est pourrie et que, in fine, le système sera toujours plus fort qu’eux ».
Selon le rapport, « ce sentiment de lassitude voire de résignation est amplifié par le fait que la corruption va souvent de pair avec des pratiques administratives lentes et paperassières qu’un « coup de pouce » opportun permettra toujours d’accélérer ou d’orienter en sa faveur ».

Une société en ébullition

« Si, fâchés avec le jeu politique, nombre d’Algériens semblent avoir mis de côté leurs revendications sur ce terrain-là en boycottant massivement les élections, les manifestations à connotation sociale rythment quotidiennement la vie de l’Algérie. Et les actions peuvent être violentes », relève le rapport, estimant qu’une flambée des prix sur des fruits ou légumes peut mobiliser bien plus que les réunions de partis sans programme et devenus inaudibles.

« Les chiffres exacts ne sont pas connus mais il y aurait, jusqu’à un millier de manifestations, chaque année, en Algérie », indiquent les députés dans leur rapport, ajoutant que « Cet état quasi-insurrectionnel permanent témoigne, une fois de plus, du mal-être d’une partie de la société algérienne qui ne profite pas des richesses du pays. Un exemple frappant est sans doute le secteur de la santé dont beaucoup d’Algériens dénoncent le sous-équipement et la corruption, lesquels rendent incontournable le recours à l’étranger pour pouvoir se soigner correctement. Une solution onéreuse que peu de personnes, bien évidemment, peuvent se permettre ».

Concernant le chômage, des chiffres avancent un taux d’inactivité établi à 30 %. Sur une population de 37 millions d’habitants, dont 64 % sont en âge de travailler. « Cela est d’autant plus inquiétant que la jeunesse algérienne est la principale victime de la situation », s’alarment les députés pour qui la « principale victime du « mal vivre » des Algériens est assurément la jeunesse ».

Une jeunesse frustrée

Selon le rapport, les trois-quarts des jeunes critiquent leur cadre de vie, un tiers rêve de quitter le pays et 90 % affirmaient se désintéresser de toute activité associative ou en lien avec un parti politique. « Aucune des auditions menées par la mission d’information n’a remis en cause ce constat : le désir d’émigrer est très massivement répandu parmi la jeunesse algérienne. Il n’y a qu’à en juger, par exemple, par les « visa, visas » criés par la foule lors des dernières visites des présidents français en Algérie », notent encore les députés.

Au-delà des problèmes d’emploi, poursuit le rapport, « c’est aussi un sentiment d’étouffement qui contribue à rendre l’Algérie incapable de garder ses enfants. Ce pays de 37 millions d’habitants compte moins de 50 salles de cinéma et à peine une dizaine de théâtres ».

Corset du conservatisme

Le rapport décrit la société algérienne comme « essentiellement patriarcale et conservatrice », estimant que des « tensions sont alors inévitables. C’est particulièrement vrai s’agissant de la situation des femmes algériennes, à la fois au sein des familles – où l’accès des femmes à l’éducation et à l’espace public modifie en profondeur les équilibres –, qu’au sein de la société, où les réflexes conservateurs se doublent d’une agressivité marquée à l’égard des femmes, par exemple celles se déplaçant seules dans la rue, signe tant d’une profonde frustration sociale que d’un conservatisme prenant prétexte de la religion pour se faire + justice+ ».

Ce rapport de 97 pages, le premier effectué par des députés français sur l’Algérie. aborde également la problématique économique, les relations entre la France et l’Algérie et l’échec de l’intégration maghrébine.

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