L’esclavagisme en Mauritanie: ils sont la propriété du maître au même titre que les troupeaux

L’esclavagisme en Mauritanie: ils sont la propriété du maître au même titre que les troupeaux
L’émotion était particulièrement forte, ce mardi, 22 mai, au Centre des Cultures méditerranéennes, amplifiée par le témoignage émouvant de Brahim Ould Alqadra, esclave mauritanien, qui a tout dit sur sa vie d’esclave et les traitements qu’il a subis, à commencer par les travaux domestiques jusqu’veiller sur les enfants, en passant par le gardiennage des bêtes, le puisage de l’eau, le soin des habits du maître et autres tâches et corvées quotidiennes. Tout cet effort n’impliquant aucun salaire ou rémunération, mais souvent, il est accompagné de brimades, de maltraitances et de punitions corporelles.
Brahim était né de parents esclaves dans le sud de la Mauritanie et très jeune, son maître est venu le prendre et son quotidien était fait de travaux durs et de châtiments corporels. Son petit frère et sa petite sœur subissaient le même sort, elle étant chez la fille du maître mariée quelque part, et lui chez le fils du maître dans sa maison. Il a fui, raconte-t-il, parce que son maître le punissait pour rien à longueur de journée. Il l’empêchait aussi de rendre visite à sa mère âgée, malade et solitaire.
Animée par Moussa Ould Labyed, juriste, membre de l’Association ‘’Contre l’esclavage en Mauritanie’’, avec la participation de Julien Mercier, anthropologue – Spécialiste de l’Islam et auteur de plusieurs livres dont ‘’L’esclavage en Terre d’islam’’, la conférence a été marquée par une forte affluence du public, visiblement choqué par ces contradictions de classes entre maîtres et esclaves dans un pays où l’appareil de l’Etat et même la pensée sociale, continuent d’appréhender l’esclavage comme un phénomène normal et contre lequel on ne doit ni s’insurger, ni se révolter…
D’emblée, Moussa Ould Labyed, qui est également membre de la ligue mauritanienne des droits de l’homme, a tenu à rappeler que les communautés Arabo-berbères de la Mauritanie, de part leur mode de vie et leurs coutumes, ont développé tout au long de leur histoire un système social basé sur l’exploitation des populations asservies, esclaves et appelées communément, les Haratine. Ils constituent plus de 50% de la population totale du pays. La plupart d’entre eux ne vivant plus une situation effective d’esclavage mais souffrant, en majorité, de discriminations fondées sur leur statut de naissance. L’autre partie constituée d’esclaves proprement dits (environ 500.000 esclaves), sont des propriétés de leurs maîtres. Ils sont un bien meuble et immeuble au même titre que les troupeaux et les domaines cultivables de ces derniers. Ils travaillent sans salaires, ne vont pas à l’école, subissent des châtiments corporels les plus inhumains. Ils sont cédés, loués et n’ont aucun droit sur leurs enfants ou leurs épouses esclaves.
Pour M. Ould Labyed qui milite en coordination avec plusieurs organisations anti-esclavagistes, pour l’éradication de l’esclavage et l’accès à la citoyenneté, la loi d’août 2007 criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes a été limitée par le gouvernement à sa simple expression symbolique. En témoigne, dit-il, le refus catégorique et systématique des autorités, de prononcer la moindre sanction aux dizaines de cas graves et avérés d’esclavage devant les tribunaux. Il cite, à ce titre, les cas de 93 victimes d’esclavage avéré, et ce depuis la promulgation de ladite loi, mais la moindre sanction n’a été appliquée contre les maîtres qui bénéficient toujours de l’impunité totale en Mauritanie.
Un instant d’espoir, dit-il, s’est installé en 2006 avec un président démocratiquement élu. Mais le coup d’Etat militaire du 06 août 2008 est venu rejeter aux calendes grecques toute chances de voir éclore une volonté officielle de reconnaissance des préjudices subis par une partie intégrante du peuple mauritanien, la naissance d’un mécanisme d’investigations et de justice.
Cette connivence des pouvoirs publics et judiciaires avec les segments tribaux et claniques esclavagistes s’est traduite par la poursuite des pratiques esclavagistes d’une manière massive et revêtant plusieurs formes, explique-t-il, avant de préciser que le phénomène odieux de l’esclavagisme est nourri en Mauritanie, par l’accumulation des frustrations, l’impunité des pratiques esclavagiste, les expropriations des terres à caractère esclavagiste, l’exclusion dans la redistribution des richesses nationales et des postes au sein de l’appareil d’Etat ainsi que l’inégalité devant la justice et l’administration. Il a dans ce contexte mis en avant trois formes d’esclavage: esclavage domestique, esclavage agricole et esclavage sexuel. Le premier se traduit par le rattachement de l’esclave à la famille du maître, par son emploi à tous les travaux et corvées domestiques avec comme seule rémunération les maltraitances et les punitions corporelles.
L’esclavage agricole ou servitude foncière consiste en la codification ou l’enregistrement de tous les espaces territoriaux cultivables ou habitables sous les noms tribaux ou familiaux des groupes dominants esclavagistes. Ceci implique qu’un homme, une famille, un clan ou une fraction des groupes des maîtres peuvent se prévaloir de la propriété foncière, légale et officielle, des domaines agricoles ou d’habitations dont les exploitants ou habitants ne sont pourtant que des esclaves ou des anciens esclaves, ces derniers se comptant parfois par plusieurs villages. Ainsi, à travers cette discrimination économico – terrienne, l’administration procède à une expropriation foncière systématique des populations serviles.
S’agissant de l’esclavage sexuel, la coutume autorise aux maîtres hommes, de disposer sexuellement de toutes les femmes esclaves ‘’sans restriction du nombre de celle-ci, sans demander le consentement de ces dernières, sans obligation de dot, ni témoins, ni acte de mariages comme ça doit être le cas dans les mariages des femmes libres’’.
Et de conclure sur cette note de dégoût : l’aspiration de la couche sociale des haratine se heurte malheureusement aux volontés inflexibles des classes dominantes détenant les leviers de commande de l’Etat. Le pouvoir de classe ainsi détenu, réduit au silence et à l’assimilation toute expression de la différence. Cette situation représente l’une des causes essentielle de violations graves et massives des droits à la dignité, des droits à la différence, des droits culturels, des droits de l’Homme tout court.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite