L’élection de François Hollande sonne le glas des relations particulières nouées avec l’émirat par Nicolas Sarkozy

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Hamed Ben Khalifa Al-Thani n’a donc pas réédité son coup d’éclat de 2007. Le souverain qatari n’a pas eu l’honneur d’être le premier chef d’Etat arabe à rencontrer François Hollande, alors qu’après l’élection de Nicolas Sarkozy, il avait coiffé tous ses pairs au poteau. Ce privilège est revenu à un partenaire beaucoup plus traditionnel de la France, le roi du Maroc, Mohamed VI, qui a été reçu à l’Elysée le 24 mai, en marge d’une visite privée à Paris. Même s’il se murmure dans les couloirs du pouvoir que l’émir pourrait bientôt rendre visite au nouveau président, sa venue n’aura donc pas le même lustre qu’il y a cinq ans. Faut-il en déduire que l’âge d’or du couple franco-qatari est terminé ?

A l’époque, outre sa réception en grande pompe au " Château ", le monarque avait eu droit à assister au défilé du 14 juillet, à la droite de son homologue français. Deux gestes forts, fondateurs d’une relation haute en couleurs, personnelle et décomplexée, qui a fait de la France l’un des partenaires les plus importants du minuscule et richissime émirat. De l’affaire des infirmières bulgares, dont il paya la libération à la campagne de Libye dont il fut la caution arabe ; de son entrée au capital de Véolia et Lagardère à son projet d’investissement dans les banlieues, le Qatar a été la vedette surprise et tape à l’oeil du mandat Sarkozy. Un relais d’influence dans le monde arabe et un investisseur fidèle, avancent ses partisans. Un simple carnet de chèque, à usage public et privé, rétorquent ses détracteurs.

Cette connivence lourde de secrets se poursuivra-t-elle sous François Hollande ? Ou bien, pour reprendre un adjectif cher au nouvel élu, la relation franco-qatarie va-t-elle redevenir " normale " ? " Poser cette question, c’est déjà y répondre, dit-on dans l’entourage du chef de l’Etat. Il n’y aura pas de remise en cause de la relation bilatérale. Mais le président ne cherchera pas à surjouer une amitié factice. Il ne veut pas de réseaux occultes et d’intermédiaires qui se promènent d’un côté à l’autre. La relation franco-qatarie sera déterminée en fonction de nos intérêts et des attentes du Qatar. Mais de façon transparente et claire. "

Envoyé en février à Doha par le candidat Hollande, Laurent Fabius avait pourtant mis en sourdine le thème du " changement ", mot d’ordre de la campagne socialiste. Il avait parlé au contraire de " continuité de l’Etat " devant le prince héritier Tamim Al-Thani. " Il y aura continuité, oui, mais avec une relation plus saine, moins exclusive, anticipe un spécialiste des affaires franco-qataries. Hollande n’est pas un homme de coups. " Le politologue français Nabil Ennasri, partage cette prédiction qui laisse présager d’un changement sinon dans le fond, du moins dans la forme. " Les gouvernements passent et les intérêts demeurent. Mais on sera moins dans l’affichage et le bling-bling, plus dans l’austérité et la modération. En tant que socialiste, Hollande n’aura pas le même rapport que Sarkozy à l’argent des Al-Thani. "

Signe qu’une page se tourne, Mohamed Al-Kuwari, ambassadeur du Qatar à Paris depuis 2003, s’apprête selon nos informations à quitter son poste. Celui qui fut l’intendant en chef de l’axe Paris-Doha, homme lige du premier ministre qatari Hamed Ben Jassem dit " HBJ " et figure familière de la Sarkozie, devrait rentrer dans le golfe arabo-persique durant l’été. En diplomate accompli, le très urbain Al-Kuwari avait pris soin de développer des contacts au sein du Parti socialiste. Un proche de Martine Aubry, Eric Ghebali, fondateur de SOS Racisme et mari de la présentatrice de télévision Daniella Lumbroso, lui a longtemps servi de poisson pilote dans le tout-Paris. L’ambassadeur connaît notamment Najet Vallaud-Belkacem, la porte-parole du gouvernement. L’émirat a noué aussi des liens avec Bertrand Delanoë, Ségolène Royal et Jack Lang, des habitués des séjours à Doha.

Mais les rivaux du Qatar disposent de relais autrement plus puissants dans la nouvelle équipe au pouvoir à Paris. A commencer par l’Algérie, qui voit d’un très mauvais oeil le parrainage que la gazo-monarchie procure aux mouvements islamistes, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Alger peut s’appuyer en France sur plusieurs binationaux comme la vice-présidente du Sénat Bariza Khiari, le ministre aux anciens combattants Kader Arif ou encore Faouzi Lamdaoui, conseiller de François Hollande à l’égalité et la diversité. Autant de relais d’influence, susceptibles de plaider pour un rééquilibrage de la diplomatie française dans le monde arabe.

" C’est le sujet de conversation numéro un dans les diwan – cabinet du roi ou d’un ministre dans le monde arabe – , explique un expert économique, familier des lieux de pouvoir arabes. Beaucoup de décideurs veulent croire que Hollande redonnera la priorité au Maghreb et à l’Arabie saoudite. Ils ont observé avec un malaise croissant comment HBJ est devenu le Hariri de Sarkozy. " Une allusion à l’ancien premier ministre et entrepreneur libanais Rafik Hariri, assassiné à Beyrouth en 2005, et à la tonalité affairiste de son amitié avec Jacques Chirac. Cette méfiance suffira-t-elle à endiguer la vague d’investissements qataris en France ? En prenant des parts dans les fleurons de l’industrie française, comme Total dernièrement, dont il détient 3 %, l’émirat pourrait pérenniser son poids dans l’establishment hexagonal. " Il faut voir si Hollande tombera dans le piège ", rajoute le consultant économique.

Autre inconnue de taille : la Syrie. Dans l’hypothèse, pas totalement déraisonnable, où les pays occidentaux décideraient d’y intervenir militairement, le Qatar, dont Bachar Al-Assad est devenu la bête noire, pourrait être mis à contribution comme en Libye, où il fournit des avions de chasse, des forces spéciales et une utile couverture diplomatique. Mais nous n’en sommes pas là. Après cinq années de romance effrénée, le couple franco-qatari semble entrer dans une phase de normalisation.

Benjamin Barthe

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