Egypte: l’armée au cœur des théories du complot

Beaucoup pointent les lacunes du dispositif policier et relèvent que la tragédie profite au pouvoir militaire.

«Trop peu nombreux», «désorganisés», «mal équipés», «passifs», «complaisants»… Au lendemain du drame de Port-Saïd, les qualificatifs ne manquent pas pour incriminer les agents chargés de la sécurité du stade. Les témoignages sur les circonstances et la chronologie des faits restent flous et contradictoires, mais un point fait consensus : les lacunes du dispositif policier. Premiers à en faire les frais, le gouverneur et le chef de la sécurité de Port-Saïd qui, contrairement à leurs habitudes, n’étaient pas présents dans les tribunes, ont été démis de leurs fonctions par le Premier ministre, Kamal al-Ganzouri. La direction de la fédération de football avait été limogée un peu plus tôt.

«Insécurité». Si beaucoup d’Egyptiens se demandent ce qu’a fait la police, une autre question intrigue : à qui profite le crime ? Toutes les forces politiques du pays ont dénoncé avec fermeté la légèreté du dispositif de sécurité, et la plupart se disent convaincues qu’il ne s’agit pas d’une simple négligence. Dès lors, nombreux sont les regards qui se tournent vers le Conseil supérieur des forces armées (CSFA, qui assure la transition politique du pays depuis la chute de Moubarak en février 2011). Les révolutionnaires en particulier, qui accusent les militaires d’avoir orchestré la tragédie afin d’en tirer profit. «Pourquoi cela arrive-t-il juste après la levée de l’état d’urgence [le 25 janvier] ? Pourquoi tous ces braquages qui se multiplient depuis quelques jours ? Vous croyez vraiment que c’est un hasard ?» s’interroge une professeure d’anglais venue avec son fils attendre les ultras d’Ahly à la gare du Caire. «Ça me rappelle Maspero (1 ) : on tape sur un groupe donné pour semer le désordre et après, on nous explique que le pays est en proie à l’insécurité et qu’on a besoin de l’armée», renchérit un militant.

Sans accuser personne directement, le maréchal Hussein Tantaoui, le chef du CSFA, a contre-attaqué hier, rappelant que c’étaient «les forces de police qui avaient la responsabilité d’assurer la sécurité du match». Mais, pour le même militant, police et armée ne font qu’un : «Pendant les affrontements du Conseil des ministres [en décembre], je me suis retrouvé embarqué au ministère de l’Intérieur et j’ai pu constater de mes yeux qu’il n’y avait que des militaires dedans.»

Bras de fer. Il y a tout juste un an, durant le soulèvement populaire qui allait conduire à la chute de Hosni Moubarak, les chars s’étaient interposés entre policiers et insurgés sur la place Tahrir. Les manifestants avaient alors célébré le peuple et l’armée unis contre le despote et sa police. Depuis, l’armée perd peu à peu cette bonne réputation. D’où la charge du maréchal Hussein Tantaoui : «Ceux qui complotent pour provoquer l’instabilité en Egypte n’y parviendront pas.» Et, voulant dissiper l’hypothèse d’un risque de coup d’Etat militaire : «Nous avons une feuille de route pour transférer le pouvoir aux civils élus.»

Comme à leur habitude, les Frères musulmans, vainqueurs des législatives, ont fait preuve de prudence dans leur communiqué, en dénonçant une «main invisible» et en mettant en cause l’ancien pouvoir. Mais plusieurs responsables de la confrérie s’en sont pris directement au CSFA. Un bras de fer est d’ailleurs engagé entre les Frères et le pouvoir militaire au sujet de la désignation des membres de l’Assemblée qui doit rédiger la prochaine Constitution. Complot ou négligence, le massacre de Port-Saïd révèle et attise les crispations dans une Egypte en proie à l’instabilité et à une insécurité croissante.

(1) Le 9 octobre, devant le bâtiment de la télévision d’Etat surnommé Maspero, une manifestation de coptes avait été violemment réprimée, les blindés fonçant même sur la foule. Bilan : 27 morts et 212 blessés.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite