Ces ministres d’ouverture qui la ferment (Libération)

Les états d’âme sur le tout-sécuritaire dévoilés hier par Bernard Kouchner ne sont pas partagés par tous les transfuges de la gauche.

Ces ministres d’ouverture qui la ferment (Libération)
Il y avait déjà comme un malaise à droite, avec le tour de vis sécuritaire et les expulsions massives de Roms. On pouvait le croire circonscrit au petit club des anciens Premiers ministres de Jacques Chirac (Juppé, Raffarin, Villepin) qui, avec des motivations fort différentes, critiquent régulièrement l’action du président de la République. Mais voilà que la fronde touche maintenant le gouvernement avec, hier encore, les propos de son chef, François Fillon, sur France Inter :«Il y a eu dans mon camp un certain nombre de propos que je n’ai pas acceptés durant l’été», a-t-il déclaré en ciblant ses ministres Christian Estrosi et Brice Hortefeux.

Et d’ajouter, avec cette fois Nicolas Sarkozy en tête, que sur le sujet de la sécurité, «chacun a sa sensibilité et sa manière de dire les choses». Presqu’au même moment, sur RTL, c’est le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui étalait ses petits états d’âme en admettant avoir eu «le cœur serré» par la situation très difficile des Roms. «Comment faire pour y remédier ? En démissionnant, j’y ai pensé», a-t-il déclaré. Avant d’ajouter :«C’est important de continuer. S’en aller c’est déserter, c’est accepter.» Ce questionnement touche-t-il aussi les autres ministres dits «d’ouverture» ? C’est ce que nous avons cherché à savoir.

Bernard Kouchner: le torturé

En exprimant ses doutes hier matin sur RTL, Bernard Kouchner prépare-t-il sa sortie ?«Il n’est pas dans cet état d’esprit», assurent ses proches. Le ministre des Affaires étrangères entend faire partie du prochain gouvernement, même si peu le voient rester au Quai jusqu’au bout de la campagne présidentielle. Alors pourquoi ces «vapeurs», pour reprendre le mot ironique du socialiste Jean-Christophe Cambadélis ? Probablement pour corriger le tir de ses déclarations de vendredi et soigner sa singularité. Devant les ambassadeurs, il avait défendu avec un peu trop de vigueur la politique menée par le chef d’Etat :«Jamais le président de la République n’a stigmatisé une minorité en fonction de son origine.» Affaibli par les critiques virulentes de Jean-Christophe Rufin et celles à peine moins sévères de Juppé et Védrine, deux anciens titulaires du poste, dépouillé de l’essentiel de ses prérogatives que se disputent Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de l’Elysée, et son secrétaire général, Claude Guéant, Kouchner paraît «inutile» et «démonétisé» à plusieurs députés de la majorité. Mais cette faiblesse fait justement sa force, outre les sondages dans lesquels il continue inexplicablement de léviter. Car un éventuel remplaçant – a fortiori un calibre comme Juppé, qui connaît la maison – risque de réclamer plus d’autonomie face à Guéant et Levitte.

Eric Besson: le motivé

Comparé à son collègue de l’Intérieur Brice Hortefeux, le ministre de l’Immigration a paru en retrait, cet été, dans la chasse aux camps de Roms. Blessé dans sa culture humaniste, l’ex-PS aurait-il lui aussi rongé son frein ?«Absolument pas», proteste un proche qui brandit la longue liste des interventions du ministre dans les médias au mois d’août. «Ultraprésent» sur ce dossier, Besson estime, selon son entourage, que «les reconduites à la frontière n’ont pas vocation à devenir des spectacles». Avec Hortefeux, il ne conteste pas une divergence – «d’ordre purement juridique» – à propos de la déchéance de nationalité pour les polygames. Hier, à l’occasion de sa conférence de presse conjointe avec le ministre de l’Intérieur, Eric Besson aura rassuré ceux qui doutaient de sa fermeté (lire page 5). Il a annoncé un amendement visant à «élargir les possibilités de prendre des arrêtés de reconduite à la frontière pour menace à l’ordre public à l’occasion d’actes répétés de vol ou de mendicité agressive». Une rumeur le dit pourtant désabusé, fatigué, désireux de quitter le gouvernement. Une autre ajoute que sa jeune future épouse aurait hâte de le voir conclure sa carrière politique. Besson dément. Ces rumeurs seraient destinées à le déstabiliser, et il aurait bon espoir de survivre au prochain remaniement. Eventuellement en conservant le portefeuille de l’Identité nationale, «ministère sanctuarisé», selon la formule d’un dirigeant de l’UMP.

Jean-Marie Bockel: l’aspirant survivant

Silencieux cet été, le secrétaire d’Etat à la Justice, Jean-Marie Bockel, reconnaît que les maigres troupes de son parti, la Gauche moderne, ont pu être troublées par la surenchère sécuritaire. Pour autant, il n’a à aucun moment songé à démissionner. Il «comprend», bien sûr, les états d’âme de Bernard Kouchner. Mais sans les partager. Si Bockel s’accroche – en dépit de ses frustrations auprès d’une garde des Sceaux qui ne lui laisse guère de marge de manœuvre – c’est qu’il estime avoir de bonnes raisons de croire à son avenir ministériel. Après le départ de Martin Hirsch et la probable éviction de Kouchner, il se voit, dans le prochain gouvernement, comme le dernier survivant de l’ouverture. Indifférent à la rumeur qui le compte parmi les probables victimes du remaniement d’octobre, l’ancien maire PS de Mulhouse fonde ses espérances sur la mission sur «la prévention de la délinquance des jeunes» que lui a confiée le chef de l’Etat le 4 août. Il y a vu une reconnaissance de son utilité dans le dispositif majoritaire.

Fadela Amara: la bonne élève

L’idée de démissionner n’a pas traversé l’esprit de Fadela Amara cet été. D’ailleurs, si on la pousse dans ses retranchements à propos de Bernard Kouchner, qui lui a songé à quitter le navire, elle lâche : «Quand on pense à démissionner, on démissionne.» Bien sûr, Fadela Amara a «écouté les débats, a été touchée par ces femmes et ces enfants qu’on embarque». Mais «une fois que je dis ça, je ne règle pas le problème». Bien dans la ligne, elle répète que «la solution pour les Roms ne peut être trouvée qu’au niveau européen». Et pour ne pas gager sa place au gouvernement, elle assure, bonne élève, que le «Président, lui, n’esquive pas les dossiers sensibles».

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