A Gaza, la maison de l’horreur

Notre envoyé spécial à Gaza raconte comment il a découvert la scène d’un massacre dans une maison du petit village de Khouza’a.

A l’heure d’une trêve respectée par toutes les parties, nombre de réfugiés tentent de regagner leurs villages. Le plus souvent pour y découvrir des théâtres de dévastation totale. A une demi-heure de route de la ville de Gaza, le village-martyr de Khouza’a, qui fut un point stratégique pour les Israéliens. Leurs forces, dès les premiers jours de la guerre, ont franchi la frontière, pour occuper le village et en faire une place forte. «Nous avons d’abord subi d’intenses bombardements raconte un vieux Palestinien rescapé d’une offensive d’une violence inouïe. Puis les les chars israéliens sont arrivés. Le village a été entièrement encerclé, puis occupé. Et le calvaire effroyable a commencé pour nous. Une punition barbare».
«Des crimes de guerres ont été commis contre une population sans défense», ajoute un chauffeur de taxi assis devant sa maison détruite. Son taxi jaune est enseveli sous les décombres. «Vous en voulez la preuve? Il y en a partout mais allez au bout du village. Vous y trouverez une des rares maisons intactes. On l’appelle "la maison de l’horreur"». Après quelques minutes de marche, je m’enfonce dans une petite ruelle. Elle mène vers le domicile d’un médecin proche du Fatah -l’organisation rivale du Hamas- qui a fui.
En apparence, vu de l’extérieur, rien ne trahit ce que je vais découvrir. Moaz, 24 ans monte la garde devant une bâtisse aux murs en béton gris, entourée de verdure. Le propriétaire lui a confié les clés. Lorsque la porte en fer forgé s’ouvre, immédiatement une odeur terrible de mort me prend à la gorge. Les chambres sont en désordre mais intactes. C’est au bout d’un couloir que l’on découvre ce qui devait être une salle d’eau. Cinq mètres carrés à peine. La pièce de l’horreur à l’état brut. Des murs truffés d’impacts, maculés de sang. A terre, les restes noirâtres en état de décomposition avancée des corps de sept jeunes Palestiniens retenus prisonniers pendant deux jours, alors que l’offensive battait son plein, avant d’être froidement exécutés. Tous les témoignages que je vais recueillir pendant plusieurs heures concordent. Et confirment l’insoutenable vision.

Des cris affreux, "comme des gens que l’on torture"

Moaz, qui était l’ami des victimes livre un récit aussi méticuleux que possible : «Au début, mes amis, dont 6 appartenaient à la famille Al Najjar, la plus importante du village, ont tenté de se cacher au mieux alors que les bombardements étaient intenses et que 3000 personnes environ n’avaient pas réussi à fuir avant que le village soit totalement bouclé. Ils voulaient rester ensemble, solidaires. Un jour, je ne me souviens plus lequel, ils ont décidé de tenter de fuir à travers les ruelles du village, évitant la route principale où les chars israéliens avaient pris position. Mais ils sont tombés sur une patrouille israélienne. De sa fenêtre, un vieil homme a vu le premier châtiment. Une balle dans le genou pour chacun d’entre eux». Les sept Palestiniens capturés sont alors ramenés dans la maison dont ils ne sortiront pas vivants. Un autre voisin raconte qu’il entendait des cris affreux. «Comme ceux de gens que l’on torture.» Mais personne ne pouvait rien faire. Deux jours plus tard, soudain, le même voisin entend des rafales claquer. «J’ai compris tout de suite que c’était la fin, une fin atroce pour des jeunes qui n’avaient rien à se reprocher, et j’ai pleuré», bredouille-t-il, hanté par le souvenir. Retour dans la maison de l’horreur. Tout concorde. L’image des traces de sang, les murs déchirés par les balles… Des douilles de fusil d’assaut au sol. Et le magma de chair décomposée… Hier, raconte Moaz, «un des parents de mes amis assassinés est venu brièvement voir. Il a fondu en larmes et s’en est allé précipitamment».

A l’intérieur de la "maison de l’horreur". Les murs témoignent de la violence qui s’y est déroulée. © Frédéric Helbert
Il faudra attendre la première trêve humanitaire pour que les cadavres soient extraits de la maison et enterrés à la hâte tous ensemble. Les familles veulent alors se rendre dans le cimetière le plus proche, mais il a été ravagé par les chars israéliens. «Un sacrilège, murmure sur place un homme en train de creuser une nouvelle tombe. Regardez par vous même». De fait, le cimetière a été bombardé, avant que des chars ne le traversent pour prendre position dans le village. La terre est complètement retournée. En se penchant sur un caveau défoncé, on distingue des squelettes, des crânes, des ossements. «Ce n’est pas un crime infâme, ça?», hurle le gardien du cimetière.
Les sept jeunes Palestiniens assassinés reposent désormais ensemble sous une tombe encore fraiche, dans un autre cimetière situé à l’écart du village. «Il a fallu faire vite, dit un employé. Car cette trêve là a été très vite rompue». Je pars à la recherche des familles, mais elles demeurent invisibles, murées dans leur chagrin. «Ils ne veulent pas parler aujourd’hui», m’explique un de leurs proches. «Mais moi je peux. Et je vous jure devant Dieu que ce qui a été accompli dans la maison de l’horreur n’est pas le seul crime de guerre à Khouza’a. Il y en a eu d’autres, beaucoup d’autres». L’armée israélienne s’est vengée sauvagement selon lui d’un fait de guerre survenu en 2008. Un commando israélien avait fait une incursion par delà la frontière. Ils sont rentrés dans un ferme déserte qui avait été minée. Près de 10 soldats sont morts. Pour les rescapés de la destruction de Khouza’a, village où il faisait bon vivre disent tous ceux qui l’ont connu avant l’offensive, c’est là qu’il faut trouver l’explication d’un tel acharnement et de telles exactions.

"Ils nous ont tiré dans le dos"

D’autres habitants racontent comment un groupe de 400 personnes, parmi lesquelles de nombreux vieillards, des femmes, des enfants, ont tenté de sortir pour échapper à la furie des bombardements en avançant sur la route principale, mains levées, drapeau blanc hissé. «Ils ont d’abord été contraints à faire marche arrière parce qu’un char a tiré à la mitrailleuse lourde. Et ce n’étaient pas que des tirs d’avertissements. Certains ont été touchés et sont morts sur le coup. D’autres ont agonisé dans leur sang». Le jour suivant, nouvelle tentative. A hauteur de la station-service de Khouza’a, réduite en miettes, l’armée israélienne les a contraint à nouveau à stopper leur marche, et à ne pas bouger pendant 24 heures. Un père a vu son fils déjà blessé agoniser devant lui. Un frère a, des heures durant, tenu dans ses bras sa soeur handicapée, mortellement touchée par un tir de sniper alors qu’il la poussait sur une chaise roulante. Un jeune Palestinien a réussi à appeler la Croix-Rouge, qui a envoyé des ambulances. Mais interdiction leur a été faite de passer à coups de «warning shots» tirés par les chars. «Puis les Israéliens ont fini par nous laisser partir», raconte un blessé retrouvé à l’hôpital Al Najjar, dans une commune voisine. «Mais ils nous ont tiré dans le dos. C’est là que j’ai été touché, derrière l’épaule. Je peux m’estimer "heureux"». Au moins quatre personnes dont un vieillard de 92 ans sont morts à ce moment là.
Retour à Khouza’a, dans la maison de l’horreur, une dernière fois. Là où a été récupéré, parmi les douilles, le couteau d’un soldat israélien taché de sang. Sinistre signature. Moaz veille toujours. «A ce jour, je n’ai vu aucun enquêteur indépendant, aucun responsable de l’ONU ou d’une quelconque ONG n’est venu enquêter dit-il. Maintenant, nous le savons. Israël peut nous tuer comme il l’entend. En toute impunité. Le sang du peuple palestinien ne vaut rien».

© Frédéric Helbert

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