Une politique publique et sociale du champ religieux: le modèle religieux marocain

Nos sociétés modernes se sont complexifiées. Les dynamiques qui traversent les sociétés sont à l’origine de nouveaux acteurs civils, qui diversifient leurs offres et aiguisent de plus en plus leurs stratégies d’action. La place changeante qu’occupe le fait religieux dans la vie quotidienne de nos citoyens et dans les relations internationales sème parfois la confusion dans l’identification des référents religieux et la clarification des relations qui lient les pouvoirs publics au champ religieux.

Une politique publique et sociale du champ religieux: le modèle religieux marocain
L’histoire religieuse n’est pas figée, elle est la résultante de nombreux paramètres dont certains d’ordre matériel et d’autres d’ordre transcendantal. Si des explications générales peuvent être données au temps religieux, elles ne seraient pertinentes si elles ne prenaient pas en considération les conjonctures, les spécificités, les réalités locales et principalement l’essence transcendantale de la religion qui échappe en partie à l’entendement humain.

Si la société est, par excellence, le lieu du débat des idées et de l’expression des opinions, la religion par la dualité de ses deux caractères : privé et individuel de la croyance d’une part et collectif de la pratique d’autre part suppose une vigilance plus accrue afin de préserver l’ordre public et garantir une pratique religieuse sereine, à l’abri des enjeux partisans et des travestissements dont la religion, pourrait être une cible.

Le rôle social de la religion avec les nouvelles formes de l’organisation de l’Etat moderne, la sécularisation des sociétés, la libération de la parole et le respect des droits humains, devrait évoluer et avoir une vision globale et intégratrice qui prend en considération les nouveaux modes de fonctionnement de nos sociétés modernes. Afin qu’il soit plus bénéfique, ce rôle social est appelé à s’intégrer dans la marche de la société.

L’Islam est fondamentalement une religion sociale

• Dans de nombreux passage du Coran, l’homme est appelé à accomplir sa mission sociale sur terre en accomplissant des œuvres fructueux, c’est ce qu’on appelle « al-oumrane » ou civilisation.
« De la terre Il vous a créé, et Il vous l’a fait peupler (et exploiter) ». HUD, 61.

« N’ont-ils pas parcouru la terre pour voir ce qu’il est advenu de ceux qui ont vécu avant eux ? Ceux-là les surpassaient en puissance et avaient labouré et peuplé la terre bien plus qu’ils ne l’ont fait eux-mêmes. Leurs messagers leur vinrent avec des preuves évidentes. Ce n’est pas Dieu qui leur fît du tort; mais ils se firent du tort à eux-mêmes ». Les romains (Ar-Rum), 9.

• Dans le Hadith, tradition prophétique il est dit
« Les plus aimés de Dieu sont ceux qui sont au services des gens ».
• Un des cinq grands préceptes de l’Islam, à savoir l’aumône, est destiné aux œuvres sociales.

• L’histoire de l’Islam a vu émerger les fondations pieuses pour soutenir les œuvres sociales et culturelles.

• La mystique musulmane est plus fondée sur l’éthique de la solidarité et bienfaisance que sur la gnose. Les hommes et les femmes, érigés au rang de sainteté, l’ont été en guise de reconnaissance aux œuvres et aux services matériels qu’ils ont rendus aux gens pendant leurs vies.
• La place réservée à la famille dans la tradition musulmane et les devoirs envers les proches, que chaque musulman est appelé à accomplir.

Le message originel de l’islam est un message de modération, de juste milieu et de justice. Les sociétés musulmanes, à travers leur histoire, ont été confrontées à des groupes et des individus qui travestissent cet esprit, par des lectures simplistes et parcellaires des textes religieux et une approche littéraliste, néfaste et anachronique de l’expression religieuse.

Le radicalisme, l’extrémisme voir l’islamisme et l’islam politique sont des manifestations multiples de ce travestissement du message originel. Les musulmans, dans leur majorité ont su s’en prémunir en s’inscrivant dans les dynamiques sociales, en prenant acte des leçons de l’histoire, en désacralisant la pensée humaine et en faisant la distinction entre ce qui relève de la croyance intime et ce qui est soumis aux règles de la cité et de son organisation.

Le Maroc en est un modèle pratique, la force et la spécificité de ses institutions religieuses lui permettent de lutter contre la politisation de la croyance et assurer ainsi, au citoyen la protection et la quiétude spirituelles.

Le champ religieux, une politique publique

La Constitution marocaine confère au système de valeurs musulmanes une place plus importante que le simple aspect normatif dénué d’éléments spirituels et humains.
« L’islam est la religion de l’État qui garantit à tous le libre exercice des cultes. » La constitution marocaine ne spécifie pas de quels cultes il s’agit. Ce qui laisse une grande liberté d’interprétation. Le roi, Amir al-Mouminine, veille au respect de l’islam et à la protection des droits et libertés des citoyens. Il est ainsi le garant de la diversité des opinions et des croyances.

Le 8 juillet 2005 a eu lieu, l’ouverture de la première session du Conseil supérieur des oulémas et la mise en place de la commission de fatwa, une instance académique ayant pour mission de donner des avis juridico-religieux et inscrire l’effort jurisprudentiel dans la démarche la plus caractéristique du rite malékite qui est celle de la règle de « l’intérêt général », conciliant les visions doctrinales des oulémas, les pratiques de terrain, le contexte international, les traités et conventions que le Maroc est tenu de respecter en tant que membre de nombreuses organisations internationales. Une démarche qui vise à rendre l’instance de l’iftae (avis juridico-religieux) collégiale et intégrée dans l’espace institutionnel marocain et à limiter ainsi les expressions individuelles en consolidant la personnalité cultuelle marocaine construite sur la base :

1- De la doctrine Ach’arite qui allie tradition et rationalité dans sa conception de Dieu et qui ne juge pas la foi des gens, ainsi elle prohibe toute démarche d’excommunication, laissant le jugement à Dieu.

2- Du rite juridico-religieux Malékite, qui s’inscrit dans la reconnaissance de l’autorité religieuse et des interprétations faites de la tradition. En plus de sa caractéristique dynamique et non spéculative, la spécificité du rite malékite au Maroc est marquée par sa prise en considération des circonstances locales, il s’éloigne ainsi des approches littéralistes et simplistes qui se fient à l’apparent des textes religieux et conduisent à l’étroitesse de l’esprit et à la sacralisation de la pensée humaine.

3- Du développement social du soufisme, conçu comme une élévation spirituelle et une manifestation de solidarité entre les humains.

4- De l’institution Imarat al-Mouminine (commanderie des croyant), garante de la pratique religieuse.

Ce schéma cultuel est ancré dans la société marocaine, il constitue une culture populaire commune. Les oulémas marocains, à l’image de Abdelouahid ibn achir (14ème siècle) ont produit des textes de prose ou de poésie, résumant cette doctrine religieuse. Ils la rendent ainsi, facile à retenir par le commun des mortels afin de le guider, sans difficulté dans son cheminement spirituel et cultuel. Cette démarche de vulgarisation et d’accessibilité ne plait pas aux tenants de l’islam politique qui la considèrent comme un mimétisme aveugle, la raison profonde en est qu’elle immunise le musulman contre les déviations et les intrusions religieuses. Elle établie les règles de l’interprétation religieuse, identifie ceux qui sont autorisés à agir au nom de la nation. Elle est un moyen de protection spirituelle sur lequel l’Etat veille afin de sauvegarder son unité et ses fondements.

Les clefs de la mise en œuvre de La politique religieuse marocaine

Les besoins des citoyens en matière d’équipement et d’encadrement religieux (mosquées, écoles coraniques, et officiers de culte) sont exposés au gouvernement et au parlement par le ministère de tutelle, ils acquièrent le caractère d’utilité publique et sont inscrit dans le budget de l’Etat.

Les sollicitations du même genre exprimées par les résidents à l’étranger sont perçues par le Maroc de la même façon.

1. L’organisation du ministère des Habous et des Affaires islamiques a toujours été instituée par dahir et non par simple acte réglementaire (décret), comme c’est le cas pour les autres départements. Le ministère est l’exécutant des directives d’Amir al-Mouminine. Ainsi, il interprète les directives et assure leur application. Tout acte exécuté par le ministère se fait au nom d’Amir al-Mouminine qui est le Nadhir al-a’adam, le Nadhir suprême, responsable de l’ensemble des Habous (fondations pieuses), et le grand imam quand il s’agit de la relation qui le lie au corps des oulémas et des imams du royaume.

2. La direction des mosquées a pour mission d’établir les programmes annuels et pluriannuels relatifs à la construction, à l’extension, à la restauration, à l’entretien, à l’équipement et à l’encadrement des mosquées ; d’organiser, d’assurer le suivi des actions de prédication et de sensibilisation au sein des mosquées en coordination avec les conseils des oulémas concernés. L’effort va dans le sens d’une normalisation des règles de construction des mosquées conformément au droit de l’urbanisme et du droit administratif général (police administrative locale en matière d’hygiène, de tranquillité et de salubrité). L’objectif principal lié à la neutralité qu’exige l’intervention publique dans ce secteur primordial est de garantir l’inviolabilité des mosquées, à tout point de vue comme pour tous les autres lieux de culte, afin qu’elles soient exclusivement vouées au seul exercice du culte et de remédier aux usages incontrôlés, qu’ils soient de nature religieuse ou politique, et de soustraire toute œuvre mécène dans ce domaine aux financements occultes.
Afin d’optimiser la gestion des mosquées et de bénéficier des compétences d’autres départements et institutions, de nombreuses conventions de partenariats ont été signées en avril 2007 à l’occasion de la journée nationale des mosquées.

3. La direction de l’enseignement traditionnel répond aussi à l’effort de restructuration du secteur en étant chargée de la stratégie pédagogique relative à l’enseignement traditionnel, ce, en réalisant la carte nationale des établissements concernés, en définissant le régime des études et des examens et en prodiguant l’assistance nécessaire à leur intégration dans le cursus normal de l’enseignement général. Des décisions ministérielles qui ont force de loi viennent réglementer en 2006 l’aspect final de l’enseignement traditionnel qui profite ainsi d’un enseignement équilibré, mariant dans son programme éducatif entre l’étude de la religion, des sciences, l’apprentissage des langues et l’exploration des sciences humaines. Outre la supervision de l’enseignement traditionnel depuis les écoles préscolaires coraniques jusqu’à l’enseignement supérieur religieux, la direction est chargée au sein des mosquées d’un programme de lutte contre l’analphabétisme, plus de 120 000 bénéficiaires suivent ainsi chaque année des cours d’alphabétisations dans les mosquées, du royaume.

4. Le conseil supérieur des oulémas (CSO) c’est l’expression moderne de la traditionnelle machiakate al oulama. Présidé par Amir al-Mouminine, il devient ainsi l’institution religieuse légale, à saisir pour donner des fatwas, avis juridico-religieux. Le CSO est responsable de la transmission et de l’encadrement du savoir et du discours religieux. Les conseils régionaux et locaux des oulémas accréditent les imams et les prédicateurs. L’une des actions principales du conseil supérieur des oulémas en 2007 était le colloque, organisé en juin à Casablanca et qui a réuni plus de 1000 imams, représentant les 62 000 préposés religieux, venant de toutes les régions du royaume afin de débattre du terrorisme. Les participants ont déconstruit à cette occasion le discours du radicalisme et se sont mis d’accord pour la qualification des tenants de la terreur de secte kharidjite, sortie du consensus de la Oumma.

5. Le programme de formation des imams et des mourchidates. En avril 2006, 150 imams et 50 mourchidates (instructrices religieuses) après avoir réussi l’examen de sortie suite à une année de formation accélérée en matière de prédication, ont signé la charte de l’imam et de la mourchidate, dans laquelle ils s’engagent à s’inscrire dans le consensus religieux marocain, en respectant les directives inscrites dans le guide de l’imam. En 4 ans, 800 autres imams et mourchidates ont été accrédités et affectés dans toutes les régions du Maroc. Parmi les rôles essentiels dévolus à ces imams et mourchidates figure l’encadrement des préposées religieux, l’objectif visé est celui d’avoir pour chaque cinquantaine de préposés religieux un encadrant et l’accompagnement sociale des citoyens.

6. Réforme de dar al-hadith al-hassania. Délivrer une formation de qualité et de haut niveau aux futurs oulémas et cadres religieux a suscite la réforme des programmes de Dar al-hadith al-Hassania. Pour relever les défis exigés par le monde moderne et la pensée contemporaine, la maîtrise des langues étrangères et classiques ainsi que l’ouverture sur les sciences humaines et l’étude comparée des religions sont inscrites dans les programmes universitaires de dar al-Hhadith al-hassania.

7. La démarche du ministère des Habous et des Affaires islamiques en la matière vise également à satisfaire les demandes des 3 millions de marocains résidant à l’étrange, dans le respect des dispositions légales des pays d’accueil. La protection du rite et de la doctrine des marocains résidant à l’étranger sur les plans spirituel et social, dans le cadre de Iimarat al-Mmouminine constitue un enjeu important pour la consolidation du lien avec le pays d’origine

8. Moyens de communication. Afin que le discours religieux et les actions menées soient partagés par les citoyens, des moyens modernes de communication et de transmission du message sont aujourd’hui fonctionnels, il s’agit entre autre de la radio et de la chaine satellitaire Mohammed VI du saint Coran, du site internet qui a vu le jour en octobre 2006 et du programme de prédication télévisuelle, diffusé dans 2000 mosquées dont presque la moitié se situe dans des zones rurales. Ces moyens médiatiques mettent en exergue les spécificités et l’identité religieuse marocaines et participent au renforcement de la culture commune de modération et de juste milieu.

Le rôle social de la religion intégré dans la politique publique du champ religieux

C’est à la lumière du cadre global, posé précédemment qu’il convient d’appréhender le rôle social de la religion et les contributions de la société civile à ce rôle.
Deux acteurs officiels œuvrent dans ce domaines, il s’agit du :

1. Ministère des Habous et des affaires islamiques, par le biais de sa mission de gestion des fondations pieuses participe notamment :

• à l’initiative nationale du développement humain (INDH), lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en 2005, destinée à la lutte contre la précarité et les disparités géographiques.
• au programme de lutte contre l’analphabétisme
• à l’amélioration des conditions sociales et économiques des préposés religieux, par la mise en place d’une couverture maladie et la création de la fondation Mohammed VI pour les œuvres sociales.

2. Le conseil supérieur des Oulémas et les conseils régionaux dont le nombre est passé de 18 à 70 conseils qui jouent un rôle de proximité sociale avec les citoyens. Ils sont sollicités sur des questions de médiations sociales et familiales. Ils sont présents également dans les milieux pénitenciers, hospitaliers pour réconforter et soulager la détresse des publics concernés.

Contribution de la société civile
Différentes formes de contributions de la société civile existent notamment :

1. Les confréries religieuses et les zaouias, dont le nombre dépasse les 700, constituent le socle de la spiritualité marocaine. Elles jouent des rôles très diversifiés : enseignements, œuvres de charité, accueil des publics en difficultés… Au Maroc les confréries religieuses se réunissent tous les deux ans au cours du mois de Ramadan à sidi Chiker, prés de Marrakech, afin d’étudier et d’évaluer les nouvelles formes d’action sociale. Une rencontre international a lieu également tous les deux ans et l’idée de la création d’une instance soufi mondiale a été lancée en juillet dernier.

2. Les bienfaiteurs privés regroupés ou non dans des associations. La nouvelle loi régissant la construction des mosquées par des bienfaiteurs vise plus de transparence dans les finances, la gestion des lieux de culte et la rémunération des préposés religieux.

3. La mosquée comme ONG
Le centre symbolique de la communauté en islam est la Mosquée, elle est le lieu de référence. Quand une communauté atteint le nombre de 12 familles, selon le rite malékite, cette communauté doit avoir sa mosquée ou son lieu de culte.

Le rôle de la mosquée ne se limite pas à l’oratoire. Les mariages, les fêtes, les discussions non politiques à caractère social et culturel peuvent avoir lieu dans la mosquée. Le débat d’ordre politique ne peut avoir lieu dans la mosquée pour deux raisons :

1. pour ne pas créer les dissensions au sein de la communauté, unie par l’intérêt commun,
2. Les orientations politiques sont du ressort exclusif de la commanderie suprême de la communauté. La communauté religieuse locale ne peut se prévaloir jouer ce rôle.
Ainsi, dans les pays où le chef politique a un double statut politique et religieux, la mosquée peut jouer un grand rôle social conforté par sa neutralité politique.

Les mécènes participent à hauteur de 50% dans la construction des mosquées. L’Etat veille sur le respect de la neutralité du mécénat qui ne peut proclamer des avantages politiques ou matériels. Certains mécènes continuent à gérer les mosquées sur contrat avec le ministère de tutelle.

Une bonne partie des mosquées sont bâties ou gérées par des associations créées pour cette fin. De point de vue légal, une association qui se constitue pour construire ou gérer une mosquée n’a pas d’autres objectifs que le culte. Cependant cette dernière considérée comme une ONG peut s’inspirer du discours authentique de la religion pour œuvrer dans différents espaces et au profit de différentes catégories de la société si les aspects légaux sont respectés.

Conclusion
Au regard des besoins et des attentes des citoyens, le champ de l’action sociale de la religion reste ouvert à différentes contributions tout en rendant nécessaire la fonction de régulation de l’Etat.

Hakim El Ghissassi
Journaliste et écrivain

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