Un cinquième mandat de Bouteflika, un cauchemar maghrébin

Par Mustapha Tossa

Dès que cette hypothèse est évoquée, c’est un mélange d’incrédulité et de fatalisme impuissant qui domine les esprits dans toutes les chancelleries. Comment un homme malade, Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, dont le quatrième mandat est déjà le mandat de trop, puisse envisager de jouer les prolongations? Comment un président de la République, qui a totalement disparu des radars nationaux et internationaux et dont les seules apparitions bricolées avec un sens manifeste de la propagande à la soviétique sont les preuves incontestables que le quatrième mandat était déjà une grossière erreur politique puisse envisager de rempiler ?

C’est une des vives interrogations qui configure le débat algérien. Ironie de l’histoire et de la manipulation politique, l’enjeu est en train de se structurer comme les promoteurs du cinquième mandat le désirent. Ceux qui encouragent Abdelaziz Bouteflika à se représenter à un âge où d’autres jouissent d’une paisible retraite se veulent les défenseurs du patriotisme à l’algérienne. Il s’agit de l’establishment avec ses multiples composantes politiques et syndicales mâtiné de défense des institutions. Leur credo se résume à désirer la continuité de l’ordre établi, la permanence des mêmes rapports de force et le maintien des acquis. Pour eux, critiquer le cinquième, mandat équivaut à une posture subversive, voire à une trahison de l’intérêt national. La violence avec laquelle ils ciblent le camp opposé est la preuve de leur détermination à recourir à tous les moyens pour imposer leurs visons de l’avenir de l’Algérie.

Dans ce camp, les plus téméraires osent à peine cette digression comme vient de l’illustrer Amara Benyounes, ancien ministre et secrétaire général du MPA, Mouvement populaire algérien: « Personne ne doit forcer la main et ne doit obliger le président à se représenter pour un autre mandat, comme personne n’a le droit d’empêcher ou d’interdire au président de la République de se porter candidat, en dehors du Conseil constitutionnel»

Sans doute les préparatifs à ce nouveau scrutin qui s’annonce dans neuf mois sont-elles derrière les multiples mises à l’écart de nombreux responsables, notamment des sécuritaires, comme le général Hamel, qui n’ont pas ouvertement accepté de jouer la symphonie de ce cinquième mandat? Il s’agit d’éliminer les têtes qui dépassent et les voix qui dérangent.

En face de ce spectre, quelques voix discordantes, quelques personnalités influentes tentent timidement de faire entendre la voix de la raison. L’Algérie a besoin d’une nouvelle dynamique qui relance ses institutions, d’un nouveau président, d’une nouvelle élite gouvernementale qui réécrit son roman national et met à jour ses ambitions avec ses capacités. Ceux qui portent ce message sont souvent qualifiés de traître à la cause nationale, agents d’influence aux mains de l’étranger dont le rêve est de faire avorter les acquis de la révolution nationale. Dés qu’une initiative de la société civile ou politique ose critiquer le scénario du cinquième mandat, elle est automatiquement clouée au pilori avec une violence qui en dit long sur la volonté du clan Bouteflika de se maintenir au pouvoir.

Car dans la réalité, il ne s’agit pas d’un homme lucide qui décide en son âme et conscience de poursuivre son combat politique alors qu’il a manifestement perdu ses capacités, mais celle d’un clan qui cherche par tous les moyens à préserver ses intérêts et à défendre ses positions et ses monopoles et à se prémunir d’éventuelles poursuites pour corruption et détournement. Les connaisseurs des arcanes algériennes insistent régulièrement sur le fait que si ce clan en est réduit à imaginer un cinquième mandat comme seule bouée de sauvetage, comme unique parapluie de protection, c’est qu’il était dans l’incapacité de produire une alternative à Abdelaziz Bouteflika qui soit consensuelle, susceptible d’éviter le choc des égos et la confrontation des intérêts.

Le cas Bouteflika est suivi avec beaucoup d’intérêts dans la plupart des capitales d’Europe, de Méditerranée et du Maghreb. Dans les cénacles de la sécurité européenne, l’hypothèse d’une succession qui se passe mal est fortement prise au sérieux. Ses conséquences déstabilisatrices et les vagues migratoires qu’elle peut provoquer sont envisagées à la loupe et des scénarios pour les contenir sont à l’étude.

Pour le Maroc, les années Bouteflika auront été celles de la consolidation froide, calculée, obsessionnelle d’une animosité structurelle. Malgré de nombreux appels à la raison, les frontières terrestres entre les deux pays restent hermétiquement fermées. Le soutien matériel et politique aux séparatistes du Polisario a été imposé comme une priorité nationale devançant dans l’agenda algérien les investissements dans les structures d’éducation, de santé ou de logement, maintenant l’Algérie, un pays pourtant riche, dans le sous-développement et créant des générations d’Algériens qui ne rêvent que d’immigration.

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