Tunisie: vers un Parlement morcelé, avec Ennahdha en tête

Les résultats préliminaires des élections législatives tunisiennes, attendus mercredi soir, devraient confirmer un Parlement morcelé, avec une victoire en demi-teinte du parti d’inspiration islamiste Ennahdha, et des négociations pour former un gouvernement qui s’annoncent laborieuses.

Les premières estimations convergent vers une nette avance d’Ennahdha, qui devrait être chargé de former le gouvernement, une déroute du courant centriste et une percée notable de nouveaux partis hétéroclites, dont certains prônant un islamisme plus radical qu’Ennahdha.

Les tractations entre les partis ont démarré dès la publication dimanche soir de sondages donnant la mesure de l’éparpillement des suffrages pour ces législatives coincées entre deux tours de la présidentielle.

Avec une cinquantaine de sièges sur les 217 que compte l’Assemblée des représentants du peuple, le parti d’obédience islamiste Ennahdha devrait rester le principal parti du Parlement.

Mais il est loin des 89 sièges obtenus en 2011, et des 68 dans l’Assemblée sortante. En outre, contrairement à 2014, vu la fragmentation des forces, il lui sera difficile de trouver un partenaire de poids pour former une coalition gouvernementale, nécessitant 109 voix.

En nombre d’électeurs, "la chute est même significative", remarque Selim Kharrat, de l’observatoire du Parlement al-Bawsala. Le parti est passé de 1,5 million de voix au lendemain de la révolution qui a chassé Zine el Abidine Ben Ali, à 434.000 au premier tour de la présidentielle.

Son rival Qalb Tounes ("coeur de la Tunisie") est donné deuxième. Cette formation a été fondée par l’homme d’affaires et de médias Nabil Karoui, incarcéré depuis le 23 août, qui est également l’un des deux finalistes pour le second tour de l’élection présidentielle prévu dimanche.

Reste à savoir la solidité de ce parti fondé en juin autour de la personne de M. Karoui. "Va-t-il survivre longtemps ou sera-t-il victime de ses contradictions", s’interroge l’ex-député Sélim Ben Abdesselem, auteur d’ouvrages sur la vie politique tunisienne.

Le parti social-démocrate Attayar ("Courant démocrate") et le mouvement islamo-populiste Karama auraient obtenu chacun une vingtaine de sièges. Les suivants détiendraient moins de 20 sièges chacun.

"Des partis qui ont joué un rôle majeur par le passé, comme Nidaa Tounes (parti vainqueur en 2014, ndlr), se retrouvent avec un score résiduel, (…) et certains ont même disparu de la carte politique", décrypte M. Ben Abdesselem.

Il s’inquiète de "l’émergence d’une voie plus à droite qu’Ennahdha", avec deux partis représentant "la vision la plus intégriste de la société (..) qui auront une représentation non négligeable au Parlement". Il fait référence à Karama et au parti Errahma mené par un imam controversé, Said Jaziri, connu notamment par ses prêches sur sa radio Coran Karim.

Jeux d’alliances

Pour atteindre une majorité, Ennahdha devra faire des concessions. Les interrogations vont bon train sur une éventuelle alliance avec Qalb Tounes, en dépit de ses promesses de ne pas s’allier à nouveau avec un parti centriste –son alliance avec Nidaa Tounes en 2014 lui ayant coûté des voix.

La solution d’un gouvernement de technocrates est également évoquée par nombre de commentateurs politiques, d’autant qu’Ennahdha a gardé un souvenir cuisant de l’échec de sa première expérience à la tête d’un gouvernement en 2011-13.

Pour le quotidien tunisien La Presse, "la possibilité de voir échouer toutes les tentatives de formation du prochain gouvernement n’est pas à écarter".

Mais "les partis n’ont pas intérêt à aller vers des élections anticipées", estime M. Kharrat, pariant qu’"ils vont gagner en pragmatisme et verront qu’ils auront intérêt" à trouver un accord.

Pour M. Ben Abdesselem, à défaut de majorité confortable pour légiférer, "le scénario d’élections anticipées dans les quatre à six mois n’est pas à écarter".

En raison du décès du président Béji Caïd Essebsi en juillet, ce scrutin législatif a eu lieu à quelques jours du second tour de la présidentielle, qui oppose dimanche deux candidats en rupture avec l’élite politique: Kais Saied, un juriste sans structure partisane et Nabil Karoui, homme d’affaires controversé et en prison.

"L’instabilité politique risque d’augmenter l’attentisme des partenaires de la Tunisie", avertit M. Ben Abdesselem, alors que la Tunisie est sous perfusion du Fonds monétaire international, qui a accordé en 2016 un prêt de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans.

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