Tunisie: Youssef Chahed, de jeune protégé du président à candidat émancipé

Ingénieur de formation, Youssef Chahed est entré en politique sur le tard, après la révolution de 2011, avant d’être nommé Premier ministre par le défunt président Béji Caïd Essebsi, dont il s’est progressivement émancipé jusqu’à viser la magistrature suprême.

Né à Tunis, M. Chahed, qui fêtera bientôt ses 44 ans, gagne ses premiers galons en devenant major de promotion au terme de ses études d’agronomie à Tunis. Il embarque alors pour la France, où il enseignera plusieurs années l’agroéconomie.

Quinze ans après ses premiers pas de professeur –et quelques jours après avoir renoncé à sa nationalité française comme le requiert la loi tunisienne–, c’est auprès de la diaspora tunisienne en France qu’il a lancé le 31 août sa campagne pour la présidentielle.

Comment cet expert international en politiques agricoles est-il devenu cet homme politique ambitieux?

M. Chahed est entré en politique après le soulèvement populaire ayant emporté en 2011 la dictature de Zine el Abidine Ben Ali, en fondant un petit parti, la Voie du centre. Il a ensuite rejoint le bureau exécutif du parti Nidaa Tounès du président Caïd Essebsi.

En février 2015, il devient secrétaire d’État chargé de la Pêche dans le gouvernement d’union de Habib Essid. Début 2016, il est désigné ministre des Affaires locales.

Quelques mois plus tard, le président Caïd Essebsi décide d’en faire son candidat pour succéder à M. Essid. A 40 ans, Youssef Chahed devient alors le plus jeune Premier ministre depuis l’indépendance en 1956.

Cette arrivée à la "Kasbah" d’un quadragénaire est saluée, dans un pays où la révolution de la "jeunesse" en 2011 a abouti à l’élection paradoxale d’un président quasi nonagénaire.

En mai 2017, M. Chahed voit sa popularité temporairement renforcée par l’annonce d’une "guerre contre la corruption", après des années d’inaction.

Plusieurs hommes d’affaires et contrebandiers présumés sont ciblés, mais aucune information ne filtre sur les suites, et des voix s’élèvent contre une campagne sélective.

Dans le même temps, sa relation avec le président Caïd Essebsi se tend, le chef de l’Etat tunisien finissant même par demander le départ –en vain– de son ancien protégé.

Début 2019, après avoir quitté Nidaa Tounès, parti miné par les luttes de pouvoir –notamment avec le fils du président Hafedh Caïd Essebsi–, Youssef Chahed crée sa propre formation, Tahya Tounès.

Composé d’anciens membres de Nidaa Tounès réunis autour du Premier ministre, le parti est devenu la deuxième force au Parlement, avec un objectif implicite: l’accession au palais de Carthage.

– Libéralisme et FMI –

Critiqué pour avoir mis les moyens de l’Etat au service de son parti, M. Chahed a fini par déléguer fin août ses pouvoirs de chef de gouvernement.

S’il peut se targuer d’avoir été le Premier ministre à la plus grande longévité depuis 2011, le bilan de son mandat risque de peser sur sa popularité: en trois ans, le chômage n’a pas été enrayé, la croissance n’a pas décollé et une forte inflation s’est installée, attisant le mécontentement social.

Les sondages, qui sont à lire avec circonspection, ne le placent qu’en 4e ou 5e positions.

Perçu comme libéral, Youssef Chahed a appelé, en ouverture de sa campagne, à réduire le rôle de l’Etat dans l’économie. Mais il a pris garde de peser ses mots, dans un pays qui regarde d’un oeil parfois noir les politiques prônées par le Fonds monétaire international (FMI): Tunis a bénéficié en 2016 d’un nouveau prêt de l’institution financière, en contrepartie de vastes réformes d’austérité censées réduire les déficits.

Sur le plan politique, il a été accusé de tenter d’écarter plusieurs adversaires de poids des scrutins nationaux, notamment lors de la récente arrestation du magnat des médias Nabil Karoui, inculpé en juillet pour "blanchiment d’argent". Des accusations qu’il a rejetées.

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