Tripoli goûte une paix fragile

Dans la capitale libyenne affranchie du régime de Kadhafi, l’intégration des ex-milices rebelles dans la police et l’armée fonctionne. Même si des tensions subsistent.

Une étonnante quiétude règne à Tripoli. Après la révolution et la guerre, et à la veille des élections du 7 juillet, la capitale libyenne semble calme, presque normale. Il reste des immeubles en ruine et des façades noircies par les explosions d’obus, mais la ville se rénove. Les ordures sont ramassées, les parcs entretenus et les palmiers taillés. En fin d’après-midi, des familles se retrouvent sur la plage. Des groupes d’amis discutent sur la digue, assis sur les rebords de fontaines.

Dans les ruelles du centre, les épiciers somnolent sur des cha ises en plastique devant leurs étals. «Sous le régime de Kadhafi, nous étions constamment stressés. Nous ne pouvions pas parler librement et nous risquions d’être rackettés ou arrêtés à tout moment par des membres des services du régime. Après, il y a eu la révolution et les combats dans la ville. Mais aujourd’hui, on se sent presque en sécurité. La Libye peut devenir un pays normal», espère Abdallah Moftar Hachimi, 59 ans, inspecteur au ministère de l’Education.

Un tel calme, même précaire, était inimaginable il y a seulement trois mois. Les milices contrôlaient alors Tripoli. Les anciens rebelles avaient positionné leurs pick-up armés de mitrailleuses aux principaux carrefours et ronds-points. Ils tiraient en l’air à la moindre occasion, oubliant que les balles finissent toujours par retomber. Nouveaux maîtres de la ville, ils imposaient leur loi, s’attaquaient entre factions et défiaient la très faible autorité du gouvernement provisoire. Aujourd’hui, s’ils n’ont pas disparu, les thuwars («révolutionnaires») sont beaucoup plus discrets dans les rues. Des policiers en uniforme blanc les ont remplacés pour réguler la circulation. Des soldats surveillent ministères et bâtiments sensibles. La plupart des barrages ont été relégués aux portes de la ville.

Miliciens. Le check-point de Zawiyah, à une quarantaine de kilomètres de la capitale, est gardé par cinq jeunes ex-rebelles en survêtement et baskets. «Nous devrions avoir nos uniformes dans deux semaines», explique Abdul Ghani, un étudiant en médecine de 19 ans. Avec ses quatre amis, il vient de signer un contrat avec les Comités de sécurité suprême (SSC, une nouvelle unité du ministère de l’Intérieur). «Nous aurions pu choisir la police ou l’armée, mais cela nous rappelait trop Kadhafi. Et j’aime bien l’uniforme, il y a un écusson où il est écrit "Libye". J’ai un contrat d’un an. Après, je retournerai à l’université», raconte-t-il dans la baraque de chantier qui fait office de salle de repos.

Pour tenter de contrôler les milices, le gouvernement a lancé un plan d’intégration des ex-rebelles dans les forces officielles. Début juin, 13 000 environ avaient accepté de signer un contrat avec le ministère de la Défense et 70 000 avec l’Intérieur. Le gouvernement estime le nombre de miliciens à réintégrer à plus de 200 000. «Il faudra surveiller comment le programme évolue, mais cela fonctionne assez bien jusqu’à maintenant. Surtout si l’on compare à d’autres pays, comme le Liban, où il a fallu des années pour parvenir à une relative stabilité», explique un conseiller des Nations unies en Libye.

La méthode est toutefois loin d’être infaillible. Le 4 juin, environ 200 miliciens de Tarhouna, une ville à 80 kilomètres au sud-est de Tripoli, ont pris d’assaut l’aéroport international de la capitale. Sans que personne n’intervienne, ils ont défoncé les barrières protégeant l’enceinte avant d’occuper le tarmac avec leurs pick-up et un tank. Les combats avec les renforts venus de Tripoli ont duré plus de deux heures et fait une dizaine de blessés. La plupart des miliciens ont finalement été arrêtés. L’incident avait été provoqué par la disparition de Abu-Ajilah Habshi, un commandant d’une katiba («brigade») de Tarhouna. Il avait été vu pour la dernière fois la veille, à un check-point sur la route de l’aéroport. Ses hommes sont persuadés qu’il a été arrêté ou tué par des forces de sécurité libyennes, malgré les démentis du gouvernement.

Cet assaut de miliciens est d’autant plus inquiétant pour les autorités qu’il est intervenu juste après le départ des miliciens de Zintan (ouest) de l’aéroport. Ils l’avaient occupé lors de la prise de Tripoli, en août 2011, et refusaient de le quitter depuis. «On nous a demandé de partir, on a accepté et voilà le résultat : les hommes du ministère de l’Intérieur se sauvent au premier problème et on doit revenir», dit en riant Nasreddine Khalifa, un ex-rebelle de Zintan de 26 ans.

«Concessions». Comme pour l’intégration d’autres brigades d’anciens rebelles, l’Etat avait négocié plusieurs semaines avec ceux de Zintan. «Il a fallu du temps, car certains "thuwars" ne voulaient pas rejoindre l’armée ou la police. Ils étaient enseignants, médecins ou commerçants, et ils voulaient retourner à la vie civile. J’ai refusé de signer tout accord tant que le gouvernement ne leur trouverait pas un poste qui leur convienne», explique Fatri el-Khai, l’un des commandants de Zintan qui a participé aux négociations. Selon des sources concordantes à l’ONU et au cabinet du Premier ministre provisoire, Abdel Rahim al-Kib, le chef des miliciens déployés à l’aéroport a également exigé un poste dans une ambassade libyenne, éventuellement en France. «C’est l’un des problèmes de la politique de réintégration du gouvernement. Il doit négocier avec les commandants de chaque brigade et il est toujours en position de faiblesse. Il est obligé de faire des concessions», explique le conseiller des Nations unies. Le gouvernement se heurte parfois au refus catégorique de chefs de milices. Dans le sud-est, à Koufra, les leaders toubous, une ethnie noire également présente au Niger et au Tchad, ne considèrent pas les forces officielles comme légitimes. Malgré l’envoi de soldats par Tripoli, les combats opposant toubous et membres de la tribu arabe Zwaï durent depuis décembre. Au moins 250 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées.

L’Etat n’a pas non plus le temps de sélectionner les candidats à la réintégration. Sur les 2 200 nouveaux policiers envoyés en formation en avril en Jordanie, 600 ont été renvoyés en Libye après quelques semaines. «Ils ne voulaient pas se lever le matin et obéir aux ordres. Il faut les comprendre, ils ont combattu plusieurs mois durant la révolution sans avoir été formés. Cela ne les a pas empêchés de renverser le régime de Kadhafi», explique un conseiller du Premier ministre.

Allégeance. Rien ne dit enfin que les nouveaux policiers et soldats obéiront aux directives du gouvernement. Pour gagner du temps, l’Etat intègre la plupart des milices en bloc, sans discernement. «Il faut aller vite, nous ne pouvons pas casser les katibas et en recréer de nouvelles. Nous négocions avec les commandants et ce sont eux qui choisissent les hommes qui les accompagnent», reconnaît Izem el-Ghawi, porte-parole du Conseil national de transition. Impossible dès lors d’être sûr de l’allégeance de ces unités. Le 8 mai, des ex-rebelles de Yefren, une petite ville des montagnes Nefoussa (ouest), dont certains venaient d’être enrôlés dans l’armée, ont tenté de prendre d’assaut les bureaux du Premier ministre. Ils protestaient contre le non-versement d’une prime promise par le gouvernement.

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