« Tomorrow Tripoli »: la révolution des « rats »

Kadhafi les appelait les « rats », ces révolutionnaires qui avaient eu l’outrecuidance de contester son pouvoir, dans la rue puis par les armes. Derrière ses lunettes de soleil, il promettait dans sa logorrhée délirante de les écraser, « rue par rue, maison par maison ».

Dans l’irrésistible élan des Printemps arabe, et grâce à l’appui de l’aviation occidentale, ces Libyens avides de liberté ont eu pourtant raison en quelques mois du "Guide de la Jamahiriya", qui régnait sur la Libye depuis 1969.

Un documentaire exceptionnel, diffusé à la Cinémathèque de Paris, revient sur cette épopée. Des premières heures de la révolte en février 2011, à la fin misérable du colonel, caché à quatre pattes dans un égout, puis lynché par des rebelles exultant, il y a quatre ans presque jour pour jour.

"Tomorrow Tripoli" est "une histoire de la révolution libyenne, à hauteur d’homme et à travers l’itinéraire d’un petit groupe de rebelles du Jebel Nefousa" (nord-ouest), raconte à l’AFP son réalisateur, le Français Florent Marcie.

"Pendant que le monde a les yeux rivés sur Benghazi (est), ces insurgés défient la dictature à l’autre bout du pays, à Zintan, dans les montagnes du Nefoussa", explique M. Marcie. "Coupés du monde, assiégés par l’armée de Kadhafi, les montagnards vont, contre toute attente, infliger une série de revers aux troupes du régime, jusqu’à parvenir aux portes de Tripoli".

De la guérilla du jebel aux rivages de la Méditerrannée, "Tomorrow Tripoli" relate le combat de ces hommes simples, emportés par le tourbillon révolutionnaire.

-‘La victoire ou la mort’-

Documentariste hors-norme, M. Marcie a passé près de huit mois au côté de ces combattants. Après la Tchétchénie ("Itchkéri Kenti", tourné en 1996 dans Grozny en ruines), puis l’Afghanistan, son film se veut le troisième volet d’une fresque au long cours, consacrée aux hommes dans la guerre.

Et de la guerre, il y en a dans "Tomorrow Tripoli". De stupéfiantes scènes de combat, et de ces moments si caractéristiques du conflit libyen: les incessants tirs en l’air pour fêter les victoires, l’improvisation souvent totale côté rebelle, ou la faible résistance des forces pro-Kadhafi.

Depuis Zintan, le "pays des cavaliers", les rebelles marchent sur Zawiyah, noeud stratégique en bord de mer, qui ouvre les portes de la capitale. Dans ce pays de désert, la progression se fait par de grands bonds en avant, d’une ville à l’autre. On s’arrête quand on fait face à une trop forte résistance – souvent juste une poignée de snipers et de mercenaires africains -, on se jette un peu n’importe comment dans la bataille aux cris d’"Allah wakbar"…

Le spectateur suit, sur mode intimiste et via une galerie de portraits, l’épopée de ces "thuars" (révolutionnaires), au hasard des rencontres de Florent Marcie. Il y a Mousa, pilote démissionnaire de l’armée de l’air, qui vit "comme un misérable à cause de Kadhafi". Milad l’ancien, notable et amoureux des lettres françaises, qui lit dans le texte les odes à la liberté de Jean-Paul Sartre "sous l’occupation allemande".

-‘Le moment révolution’-

Et puis surtout, cheikh Madani, vieux paysan-soldat intrépide et insaisissable, adoré de ses hommes, et dont on assiste à la poignante agonie sur un lit d’hôpital.

"Notre voeu le plus cher est de mourir en martyr. Qu’il en soit ainsi", juge dans un sourire apaisé son fils au visage christique, Ibrahim, résumant en quelques mots l’inébranlable foi musulmane des insurgés.

Entre deux séquences surréalistes de la télévision officielle, où une présentatrice fustige ces rebelles "venus des cavernes" et brandit son revolver, on sourit à l’un des slogans préférés des insurgés: "Dégage le frisé!".

Point d’orgue du film, la prise d’assaut, sous un déluge de feu, de Bab al-Aziziya, la forteresse présidentielle à Tripoli, dont Florent Marcie, qui collaborait alors pour l’AFP, annoncera la chute au monde entier.

De cette épopée, on pressent déjà les racines du chaos à venir. "C’est un film sur l’énergie révolutionnaire, l’histoire d’une locomotive que l’on ne pourra plus arrêter", résume M. Marcie.

Et on retient encore cette phrase, prononcée par un apprenti journaliste de Zintan, à peine sorti de l’adolescence et ému aux larmes: "la liberté, c’est un petit mot, mais qui signifie beaucoup".

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