Téhéran devient tête de Syrie

L’Iran, pour qui la survie du régime d’Al-Assad est stratégique, a pour la première fois directement menacé les Etats-Unis.

Dans le conflit syrien, l’Iran, le principal allié de Damas avec Moscou, a aussi sa «ligne rouge». Le régime islamique l’a fait savoir hier en prévenant Washington des «dures conséquences» qui l’attendaient s’il menait une opération militaire en Syrie. La menace a été lancée par le commandant Massoud Jazayeri, chef adjoint de l’état-major des forces armées. Cela confirme que le dossier syrien échappe au contrôle du nouveau président iranien, Hassan Rohani. Et qu’il est géré par la direction militaire du pays, pas seulement par la force Al-Qods des pasdaran (l’unité du corps des Gardiens de la révolution chargé des opérations extérieures). C’est d’ailleurs l’agence Pars, tenue par les pasdaran, qui a diffusé la déclaration du commandant Jazayeri. «La guerre terroriste actuelle en Syrie a été planifiée par les Etats-Unis et les pays réactionnaires de la région [l’Arabie Saoudite, le Qatar, ndlr] contre le front de la résistance [face à Israël]. Malgré cela, le gouvernement et le peuple syriens ont obtenu de grands succès. Ceux qui ajoutent de l’huile sur le feu n’échapperont pas à la vengeance des peuples […]. L’Amérique sait quelle est la limite sur le front syrien, et tout franchissement de cette ligne rouge aura de dures conséquences pour la Maison Blanche», a ajouté l’officier. C’est la première fois que la haute hiérarchie militaire iranienne menace directement les Etats-Unis et parle de «ligne rouge». Elle a réagi aux propos du secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, affirmant que Barack Obama avait demandé à son département «de préparer plusieurs options d’intervention» en Syrie après avoir appris que l’armée syrienne aurait utilisé des armes chimiques près de Damas. Il avait ajouté que les forces américaines étaient prêtes à intervenir quelle que soit l’option retenue, mais que Washington était toujours en train de les évaluer.

Dépendance. Emboîtant le pas à l’Iran, le régime syrien a aussi averti les Etats-Unis que toute intervention militaire «créerait une boule de feu qui enflammerait le Moyen-Orient».Par cet avertissement lancé à Washington, Téhéran confirme que la guerre en Syrie est bel et bien un problème existentiel. Ce n’est pas la première fois : en février, Mehdi Taeb, un religieux du premier cercle des conseillers du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, reconnaissait la dépendance du pays à la situation en Syrie, qui «est la 35e province et une province stratégique pour nous», déclarait-il, lors d’un rassemblement du bassidj (la milice du régime) à Téhéran. «Si l’ennemi nous attaque et cherche à prendre à la fois le contrôle de la Syrie et du Khouzistan [la province iranienne la plus riche en pétrole], la priorité réside dans le maintien de la Syrie, parce que si nous la maintenons, nous pourrons reprendre le Khouzistan. Cependant, si nous perdons la Syrie, nous ne serons pas en mesure de tenir Téhéran», ajoutait-il. Il reconnaissait enfin que l’armée syrienne, naguère «forte», «n’avait plus la capacité de gérer seule une guerre à l’intérieur des villes».

Autre souci de Téhéran : que l’Arabie Saoudite, en cas de chute du régime, fasse passer en Syrie un pipeline pour exporter son pétrole, rendant caduque l’importance stratégique du détroit d’Ormuz que l’Iran contrôle. Autrement dit, Téhéran voit la crise syrienne comme un nouveau front, à côté de celui du nucléaire. D’où un engagement de plus en plus intense. Selon une source diplomatique française, c’est sur ordre de Téhéran que le Hezbollah libanais s’est engagé en Syrie. Sans lui, Al-Assad n’aurait pu reprendre la petite ville stratégique d’Al-Qoussayr. Ses forces ont aussi joué un rôle déterminant dans la conquête des derniers quartiers résistants de la grande ville de Homs, autre nœud décisif entre Damas et la Méditerranée.

Vassal. C’est encore les pasdaran et la milice chiite libanaise qui forment l’équivalent syrien du bassidj iranien pour défendre les localités alaouites et chiites. Pas seulement : ce sont aujourd’hui ces milices, les nouvelles et les shabiha, ces gangs faisant office de forces supplétives aussi entraînés par les mêmes conseillers, qui permettent au régime de tenir certaines régions, souvent mieux que ses propres organes de sécurité. Ce sont encore les pasdaran et le Hezbollah qui forment des jihadistes chiites irakiens et venus d’autres pays. Sans oublier l’implication directe des pasdaran, selon la même source diplomatique, notamment comme conseillers auprès du commandement syrien.

S’ajoute l’aide économique de Téhéran qui participe aussi à la survie du régime – il a déjà dilapidé dans la guerre près de 17 milliards de dollars (12,7 milliards d’euros) de ses réserves en devises, selon le Centre syrien de recherches politiques. Aussi reçoit-il de l’Iran pas moins de 500 millions de dollars par mois auxquels s’ajoutent plusieurs lignes de crédit lui permettant d’acheter nourriture et pétrole. «Conséquence : les Iraniens et les forces du Hezbollah resteront probablement en Syrie indéfiniment, institutionnalisant de façon permanente ce qui avait été un arrangement ad hoc», souligne Andrew Tabler, un chercheur du Washington Institute, dans le dernier numéro de la revue américaine Foreign Affairs. D’où ce constat que la Syrie est désormais vassalisée et que le régime iranien, qui a d’ailleurs réagi avant Damas aux déclarations américaines, est en passe de devenir le vrai patron du pays, du moins de la partie contrôlée par les forces loyalistes. Avec les risques d’un enlisement, comme pour les Américains en Irak et pour le Hezbollah d’être à la manœuvre sur les fronts syrien israélien et libanais.

Outre Téhéran, Moscou, le puissant allié historique de Damas, a aussi averti Washington, «contre une répétition des erreurs du passé». «Tout cela ne peut que nous rappeler les événements d’il y a dix ans, quand, prenant prétexte des informations mensongères sur la présence en Irak d’armes de destruction massive, les Etats-Unis, en contournant l’ONU, se sont lancés dans une aventure dont tout le monde connaît maintenant les conséquences», a déclaré le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères. «Nos partenaires américains et européens doivent être conscients des conséquences catastrophiques d’une telle politique pour la région, le monde arabe et plus généralement le monde musulman», a-t-il ajouté. De guerre civile, le conflit syrien est devenu une guerre froide régionale et internationale.

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