Syrie, Irak: le pari risqué de Washington sur les forces armées locales

Malgré les milliards investis par les Etats-Unis pour sa reconstruction, l’armée irakienne a lamentablement échoué face à l’Etat islamique en juin. Pas découragé, Washington va à nouveau former les forces irakiennes, mais aussi des rebelles syriens, dans l’espoir de défaire le « cancer » jihadiste.

Pour éviter à l’Amérique de replonger dans le cauchemar de voir des soldats américains risquer leur vie en Irak, c’est aux forces gouvernementales irakiennes et à l’opposition syrienne "modérée" que Barack Obama entend confier armes et conseils pour affronter l’Etat islamique.

Mais le pari est risqué. Dans les capitales occidentales, on doute de la capacité des formateurs américains à instiller à l’armée irakienne une cohésion inconnue jusqu’à maintenant et à lui éviter de retomber dans l’écueil qui a précipité sa chute: une déplorable tendance à se comporter en défenseur des seuls intérêts de la majorité chiite.

En Syrie, l’enjeu est autre, puisqu’il s’agit de former des rebelles et donc de surmonter les crevasses idéologiques qui séparent les différents groupes qui composent l’opposition "modérée", c’est-à-dire non jihadiste.

D’autant qu’il existe des centaines de groupes rebelles en Syrie. Rares sont ceux à allier une expérience un tant soit peu viable du combat et une idéologie strictement laïque, ou tout du moins assez éloignée de la doctrine jihadiste pour être acceptés par les Occidentaux comme partenaires de confiance.

M. Obama a réclamé 500 millions de dollars au Congrès pour former 5.000 combattants au cours des 12 prochains mois et préfère recourir aux forces spéciales plutôt qu’aux agents de la CIA. L’Arabie saoudite a manifesté son intérêt en acceptant d’accueillir ces formations sur son sol.

Mais les élus américains entendent peser pour façonner la stratégie américaine contre l’Etat islamique. Les sénateurs insistent aussi pour que le gouvernement identifie des rebelles modérés — une chimère pour nombre d’experts.

Le débat "n’est pas mené de façon réaliste", regrette Aron Lund, responsable éditorial de Syria in Crisis (La Syrie en crise), un rapport publié par le centre de réflexion Carnegie Endowment for International Peace, basé aux Etats-Unis.

"La plupart des rebelles sont soit opportunistes, soit islamistes, à des degrés divers", explique M. Lund à l’AFP.

Mais si Washington parvient à mettre en place une force rebelle bien entraînée et soutenue par des frappes aériennes, elle pourrait très vite marquer des points sur le terrain.

"Un petit groupe appuyé par un soutien aérien peut être très efficace", insiste Aron Lund.

Le premier défi va donc consister à trouver ces recrues et s’assurer que les armes qui leur sont fournies ne finissent pas entre les mains d’extrémistes anti-occidentaux ou, pire, de l’Etat islamique.

– Une armée ‘qui reflète’ la société irakienne –

A l’époque de la Guerre du Vietnam, les tentatives américaines de constituer des forces armées professionnelles ont échoué, principalement parce que les dirigeants locaux voyaient en elles des gardes prétoriennes plutôt que des corps destinés à défendre le pays,

Ce scénario s’est reproduit plus récemment en Irak où Washington a déboursé 24 milliards de dollars pour doter le pays d’une armée après l’invasion de 2003. Hommes du rang comme officiers ont abandonné uniformes et armes en bordure de route en juin à Mossoul, saisis d’une peur bleue de l’Etat islamique.

Les responsables politiques ont été prompts à pointer du doigt l’ex-Premier ministre chiite Nouri al-Maliki et sa stigmatisation des sunnites jusque dans l’armée.

"L’idée était de créer une armée qui reflète la société irakienne. Ce modèle s’est écroulé lorsque les Irakiens en ont pris le commandement et les unités ont commencé à être façonnées en fonction des appartenances religieuses", explique à l’AFP le général américain à la retraite Paul Eaton, chargé par le Pentagone de recréer de toutes pièces les forces armées irakiennes en 2003-2004.

Ironie du sort: lors de sa fulgurante offensive dans le nord de l’Irak, l’Etat islamique a fait main basse sur des dizaines de véhicules et d’armes fournis par le Pentagone à l’armée irakienne.

M. Maliki parti, Washington mise sur son successeur Haïdar al-Abadi pour édifier une armée représentative de l’Irak.

"La différence est que nous avons un nouveau gouvernement, un gouvernement qui a publiquement fait part de son intention d’être plus ouvert et responsable", a souligné jeudi le contre-amiral John Kirby, porte-parole du Pentagone.

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