Syrie: «Des preuves», disent-ils

Syrie: «Des preuves», disent-ils
Ce sont les cinq arguments les plus entendus. Dans ce débat syrien qui s’est désormais emparé de la France et des Etats-Unis, la première objection faite au projet d’opération militaire contre le régime de Damas est qu’il faudrait «des preuves». La Maison Blanche et l’Elysée s’emploient donc à en donner mais qu’y a-t-il à prouver alors que le pouvoir syrien n’a jamais nié qu’il possède des armes chimiques et fait lui-même état d’un usage de gaz de combat, aux portes de Damas, il y a maintenant deux semaines ? Non seulement cette dictature dispose de stocks chimiques et le reconnaît mais, pour se disculper d’y avoir recouru contre sa propre population, elle accuse les insurgés de l’avoir fait contre eux-mêmes. Les faits sont ainsi établis et, pour ce qui est de savoir qui en est responsable, la réponse relève du simple bon sens. Dès lors que des gaz de combat ont bel et bien été utilisés, celui qui a pu le faire est celui qui en avait et non pas celui qui n’en avait pas, le pouvoir et non pas l’insurrection. Quand Vladimir Poutine exige des preuves, on comprend ses raisons. Il continue de protéger la dictature syrienne mais, quand des hommes politiques, des journaux et des citoyens français ou américains en demandent aussi, quelles peuvent être leurs motivations ? Elles sont claires, nullement déshonorantes en elles-mêmes, mais relèvent toutes d’une profonde méconnaissance de la situation, tant en Syrie que dans l’ensemble du Proche-Orient.

C’est cette méconnaissance qui conduit à la deuxième objection faite à la volonté de ne pas laisser impuni le dernier en date des crimes de Bachar al-Assad. Si abominable qu’elle soit, pensent beaucoup de gens, mieux vaut cette dictature que ce qui pourrait lui succéder, mieux vaut un assassin que des fanatiques qui persécuteraient les minorités syriennes, chrétiennes et autres, et ajouteraient au chaos régional. Sur le papier, ce deuxième argument se défend, sauf que c’est précisément la passivité des démocraties devant la sauvagerie de cette dictature et leur refus d’armer l’insurrection qui ont donné un poids en Syrie, encore relatif mais croissant, aux plus fanatiques des islamistes, aux jihadistes partisans de l’établissement d’une théocratie et d’une guerre sainte contre l’Occident. Sur ce point, le parallèle avec la guerre d’Espagne est absolument frappant. Les démocraties avaient refusé d’armer les Républicains contre le coup de force de Franco. Le résultat en avait été que les communistes, armés par Staline et encadrés par sa police politique, avaient pris une importance qu’ils n’avaient d’abord pas eue dans les rangs de la République et c’est, ensuite, au nom du danger communiste qu’elles avaient ainsi créé, que les démocraties ont persisté dans leur abstention. Il n’y a certes pas de Hitler prêt à déclencher une guerre mondiale mais, pas plus aujourd’hui qu’hier, la passivité ne conjurera les dangers présents.

Ce serait l’engrenage de la guerre, disent les adversaires d’une réponse militaire à l’usage des armes chimiques. C’est leur troisième argument mais que se passerait-il si le Congrès américain ne donnait pas à Barack Obama le feu vert qu’il lui a demandé ? Assad se sentirait décidément autorisé à faire n’importe quoi pour conserver son pouvoir. Plus aucun dictateur n’aurait plus la moindre crainte d’une quelconque réaction internationale. Les jihadistes reprendraient partout du muscle et pas seulement en Syrie. L’Iran se dirait qu’il n’a aucune raison de faire de concessions sur son programme nucléaire. Le monde, en un mot, n’en serait pas plus sûr mais infiniment plus dangereux alors que, non, rien ne dit que des frappes limitées précipiteraient une guerre mondiale ou même régionale.

Peut-être, mais «c’est trop tard», dit-on beaucoup, car le quatrième argument contre cette opération est qu’elle ne mettrait pas fin à la guerre civile. Oui, c’est exact. Elle ne l’arrêterait certainement pas du jour au lendemain mais, en affaiblissant l’aviation d’Assad et modifiant le rapport de forces sur le terrain, elle enlèvera à ce régime l’illusion de pouvoir l’emporter par la force et facilitera la recherche du compromis politique par lequel il faudra, bien sûr, en passer.

Reste enfin le cinquième argument, le seul qui ait un vrai poids. Il est qu’en agissant sans l’aval du Conseil de sécurité, la France, les Etats-Unis et les pays qui se joindraient à eux violeraient la légalité internationale. C’est incontestablement vrai mais la légalité internationale, c’est aussi l’interdiction formelle de recourir aux armes chimiques. Toute la question est ainsi de savoir s’il vaut mieux laisser briser ce tabou ou défendre l’autorité du Conseil en permettant à Vladimir Poutine de continuer d’en faire une moquerie par son veto à toute condamnation, même verbale, du pouvoir syrien. Une telle défense des Nations unies serait si vaine que la réponse est dans la question.

PAR BERNARD GUETTA

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite