Sarkozy défaitiste ? Un truc de off !

Au cours de confidences livrées en Guyane à des journalistes, le chef de l’Etat a évoqué son possible échec à la présidentielle. Non sans arrière-pensées politiques.

Sarkozy défaitiste ? Un truc de off !
«L’aiguille, il faut savoir la retirer progressivement.» Ce samedi soir, sous le carbet de la magnifique demeure du préfet de Guyane, Nicolas Sarkozy, entouré d’une dizaine de journalistes, parle depuis déjà deux bonnes heures.

L’aiguille ? Celle du «shoot» de la politique. Cette drogue dure pour laquelle on est prêt à donner sa vie. Et aussi à s’y perdre. Le chef de l’Etat fait alors le geste de celui qui retire la seringue de son bras droit, comme pour une intraveineuse. Oui, s’il perd, il arrêtera la politique, «complètement». «Vous ne me verrez plus», sourit-il. «C’est la première fois de ma vie que je me retrouve en situation d’envisager la fin de ma carrière. Aujourd’hui, la question se pose.» Immense silence. Entre sidération et excitation. Nicolas Sarkozy est-il en train d’annoncer qu’il ne va pas se représenter à l’élection présidentielle, depuis la Guyane, à 7 000 kilomètres de Paris, et à quelques heures du premier discours de François Hollande, au Bourget? L’idée circule à la vitesse du cyclotron autour de la table. Un journaliste ne résiste plus : «Mais, Monsieur le Président, en cas de victoire, vous avez encore cinq ans à faire?» Sarkozy : «Cinq ans, ce n’est rien. La vie passe tellement vite. De toute façon, je suis au bout. Et cela ne me fait pas peur.»

Apéritif. Mais quelle drôle de mouche guyanaise a pu piquer le président de la République? Cela faisait au moins deux ans, qu’il n’avait pas pris la peine d’échanger avec la presse politique (lire page 4). Tout le monde s’attendait à voir un Sarkozy cogneur et déterminé. En campagne. Et le voilà qui évoque la défaite. Et même la mort. Ce qui, pour l’animal politique, revient évidemment au même. L’idée de cette rencontre a été montée dans l’avion présidentiel qui le menait à Cayenne. François Hollande allait tenir son premier meeting le dimanche, à la même heure que les vœux du Président à l’outre-mer. Un combat perdu d’avance. Et comme il n’était pas question de politiser son discours présidentiel, il fallait bien occuper le terrain. Ce fut donc un apéritif, puis un dîner. Pour plus de trois heures de discussion à bâtons rompus.

Mélange. Evoquer la possibilité de la défaite alors que le combat n’a pas encore commencé, n’est-il pas le signe d’un début de panique ? «Pas du tout, glisse un conseiller de l’Elysée. Le fait qu’il expurge, qu’il décompresse, c’est une bonne chose. Cela traduit la complexité du personnage.» Un curieux mélange de brutalité vulgaire et de séduction opportuniste. D’envie de se faire aimer et d’en découdre à la fois. De calcul et de sincérité. «Peut-être qu’il y avait là, pour lui, la volonté de casser l’image du personnage qui ne doute jamais, qui vit dans le déni de réalité, accroché au pouvoir. Ce qu’il n’est pas du tout», poursuit le conseiller. Sûrement. Peut-être aussi que la peur de perdre est là, déjà bien pressante. «Il a beaucoup parlé de l’expérience de Giscard [dépressif après son échec de 1981, ndlr]», confirme un proche. Ministre de l’Environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui était du voyage, relativise beaucoup la sortie présidentielle : «Pour le voir travailler, je ne crois pas que la défaite l’occupe. C’est juste une spéculation intellectuelle. Un mouvement classique chez un homme politique qui se demande ce qu’il pourra faire après la politique.» A l’Elysée, on en ferait même un élément de différenciation. «Il est totalement différent de François Hollande. Et cela va se voir de plus en plus», poursuit le conseiller. Comme le point clé, «c’est son degré de détestation dans l’opinion publique», selon les mots d’un député de la majorité, rien de mieux que de livrer l’image d’un homme fragile. Car mortel.

A la question de savoir ce qu’il choisirait entre le Carmel et l’UMP, après sa vie de président, Nicolas Sarkozy sourit : «Je préfère encore le Carmel. Au Carmel au moins, il y a de l’espérance.» Difficile de trouver des mots plus démobilisateurs, juste trois jours avant la distribution, par l’UMP de 7 millions de tracts censés défendre son bilan. Signe en tout cas qu’entre l’Elysée et l’UMP, il y a comme de la friture sur la ligne. Un fidèle du Président : «La cellule riposte de l’UMP, c’est vraiment du bidon. Maintenant, je déconseille aux ministres d’y participer.» Nicolas Sarkozy est seul, et pour réveiller le désir, pourquoi pas évoquer la fin. Hier, c’était moi ou le chaos. Maintenant, c’est moi ou le néant.

«Authenticité». Ce samedi soir, Nicolas Sarkozy n’a rien d’un dépressif. Il vient de courir une heure pour évacuer la fatigue. Et s’autorise même une cigarette, qu’il fume comme un cigare, en crapautant. Question d’un confrère : «Mais vous croyez que vous avez encore une chance d’être élu ?» Réponse de Sarkozy tout sourire : «Le miracle, c’est qu’il y a encore autant d’intérêt pour ma personne. Vous n’imaginez pas les surprises que les Français nous réservent. Les favoris de l’élection présidentielle ont toujours perdu.» Et de promettre qu’une fois candidat, «ce sera une campagne très différente de celle de 2007». Il a en tête un projet de livre de confessions personnelles, mais jure que rien n’est arrêté. Une façon de purger les erreurs de son quinquennat, comme celle de l’Epad, dont il «jure qu’il n’a pas vu venir le problème». «Si je décide de faire ce livre, je ne le ferai pas à moitié. C’est difficile. L’écrit, c’est hyper intime, c’est douloureux. Mais si je juge que c’est prioritaire, je le ferai.» Le maître mot de cette campagne sera, selon lui, «authenticité». Puisque les Français ne sont pas dupes de «l’exercice de composition» de François Hollande. Et voilà, le chef de l’Etat qui se projette dans un possible second quinquennat : «J’irai encore plus loin dans l’ouverture. Le monocolore chiraquien ou socialiste, ce n’est pas ce qu’il faut à la France.»

«Ring». Il n’évoquera ni les sondages, déplorables, ni la TVA sociale, dont il révélera les contours dimanche à la télévision. Juste sa philosophie d’action. «Seuls les choix radicaux et assumés sont des choix heureux. Les pleines mesures ne fonctionnent pas toujours, mais les demi-mesures ne fonctionnent jamais.» A l’Elysée en tout cas, on ne pronostique plus l’effondrement de Hollande. «Il faut juste éviter que le chef de l’Etat ne décroche, confie un conseiller. A la fin, ce sont deux mecs qui vont se retrouver sur un ring avec de la lumière plein la gueule et c’est là que cela va se jouer.»

D’après Sarkozy, les «Français sont dans la crise depuis la mi-octobre et entreront très tard dans la campagne». Donc il n’y a aucune raison de hâter sa déclaration de candidat qui doit toujours intervenir début mars. «C’est à ce moment-là que l’on doit mesurer une vraie remontée», veut croire un fidèle. Et là promis : «Il n’évoquera plus la défaite.»

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