« Salafistes » ou la charia au quotidien

Montrer les salafo-jihadistes « tels qu’ils sont »: c’est toute la force d’un documentaire unique en son genre, « Salafistes », attendu fin janvier dans les salles de cinéma en France.

Ses auteurs, François Margolin et Lemine Ould Salem, nous emmènent au Nord-Mali, passé sous le contrôle des jihadistes de mai 2012 à janvier 2013, à Tombouctou et Gao, à la rencontre de plusieurs chefs des mouvements Ansar Dine et du Mujao, affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Pour des raisons de sécurité évidentes, seul M. Salem a pu se rendre sur place, sous conditions mais avec une accréditation des nouveaux maîtres de la région.

On y suit les policiers islamiques, reconnaissables à leurs gilets bleu pétant, en patrouille sur un marché ou dans les allées sablonneuses de Tombouctou, qui apostrophent deux gamines sur un étal: "Je lui ai dit de rabattre son voile".

Tout juste amputé de la main droite pour vol, un jeune plombier feint dans un soupir sur son lit d’hôpital de se réjouir d’être pris "intégralement en charge" jusqu’à sa sortie, sous l’oeil de son bourreau, Sanda Ould Boumama. "On l’a traité conformément à ce que Dieu nous dit", justifie ce chef local d’Ansar Dine.

– ‘Le sabre tranche’ –

"Je ne fais qu’appliquer les obligations divines. (…) Il n’y a plus de péché maintenant", clame en français devant la caméra un autre chef jihadiste, Oumar Ould Hamaha. Surnommé "barbe rousse" pour son bouc coloré au henné, celui qui fut un moment porte-parole du Mujao aurait été tué courant 2014 par les forces spéciales françaises.

"L’homme est rebelle par nature à la volonté divine, il est esclave de ses passions, il faut donc agir par force pour qu’il se soumette", assène-t-il dans un saisissant monologue. "C’est le sabre qui va trancher, et c’est par le sabre que le jihad va se propager".

Fini les griots, les veillées et les danses, "on dirait que c’est une nouvelle religion qui est venue", témoigne un simple d’esprit, qui se cache derrière un mur pour fumer son mégot.

Autre moment fort, l’exécution d’un berger touareg, jugé coupable d’assassinat. Le journaliste n’a pas été autorisé à filmer la mise à mort, mais en montre les préparatifs. Ces scènes rappellent étrangement le film Timbuktu du réalisateur Abderrahmane Sissako, présenté au festival de Cannes. Initialement associé au documentaire, M. Sissako a abandonné le projet en cours de route mais conservé les images rapportées du Nord-Mali, qu’il a ensuite "pillées" et copiées pour son film, regrettent MM. Margolin et Ould Salem, soucieux néanmoins de ne pas polémiquer.

Le tournage a duré trois ans, au Mali, en Mauritanie et Tunisie. A Nouakchott, il donne la parole à plusieurs prédicateurs salafistes qui ont pignon sur rue.

L’attentat de janvier 2015 à Paris contre Charlie Hebdo? "Ils ont eu ce qu’ils méritaient". Contre le supermarché cacher? "Juifs et musulmans sont en guerre, ce n’est que justice".

La force du documentaire est qu’il donne à voir, sans juger. Une parole brute, souvent choquante: "On ne peut pas être musulman et laïc à la fois, c’est mentir à Dieu, et se mentir à soi-même". "On peut utiliser la démocratie pour faire valoir nos droits. Mais nous refusons ce système qui est mécréant par essence".

– Existe-t-il un bon salafisme? –

Et de nous mettre face à notre difficulté à saisir l’ambivalence et la dangerosité du salafisme.

"Je considère qu’il ne faut pas faire la distinction entre salafisme jihadiste, intellectuel, et de comportement", juge l’imam Mohamed Salem Madjissi. "Le salafisme englobe tous ces aspects, il envisage tous les aspects de la vie, cela prouve la globalité de l’islam", estime ce religieux, pour qui le groupe Etat islamique (EI) "respecte la charia" et "est un Etat tout à fait légitime".

Pour contrebalancer cette parole, les auteurs ont pris le parti d’insérer des extraits des vidéos de propagande de l’EI, dont la violence leur a "semblé le meilleur des contrepoints".

"Notre projet était de montrer les salafistes de l’intérieur", explique M. Margolin. Toujours minoritaire dans l’islam, mais de plus en plus influent, "le salafisme est avant tout une idéologie, qui débouche sur le passage à l’acte", selon lui. Et les auteurs de citer les mots de "barbe rousse": "être jihadiste, c’est le stade suprême du salafisme, c’est un cheminement normal".

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