Relations UE-Maroc : de quoi se mêle la Cour de justice européenne ?

La cour de justice européenne vient de mettre son nez dans des affaires dont elle ne semble pas mesurer l’ampleur. Derrière un simple accord de pêche entre l’Union européenne et le Maroc, c’est un nid de serpents qui l’attend.

C’est dans une époque particulièrement troublée que la CJUE (Cour de Justice de l’Union européenne) sera appelée, le 27 février prochain, à se prononcer sur la validité juridique de l’accord sur la pêche, signé entre le Maroc et l’Union européenne. Pour chacun des partenaires, un éventuel jugement en faveur de l’illégalité de cet accord pourrait avoir des effets géopolitiques outrepassant la question de droit.

En 2016, l’ONG Western Sahara Campaign, faux-nez du Front Polisario, a demandé à la justice l’invalidation dudit accord, au prétexte qu’il s’appliquerait à un territoire contesté, l’ancien Sahara espagnol, intégré depuis 1975 au Maroc sous l’appellation de « Provinces du Sud ».

Depuis sa constitution, le Front Polisario revendique ce territoire pour y bâtir un Etat-nation dont lebien-fondé, au regard de l’observateur, n’a rien d’évident.

En vérité, la dynastie qui règne de longue date sur le Maroc plonge ses racines profondes dans ces espaces, à l’intersection du Maghreb et de l’Afrique sahélienne. La monarchie chérifienne est l’héritière des Almoravides et Almohades, ces empires arabo-berbères dont Ibn Khaldoun nous a conté l’ascension et le déclin. Descendant direct du Prophète, le roi du Maroc bénéficie également d’une légitimité de type religieux.

Inversement, le projet d’un « Etat sahraoui » est dépourvu d’assise historique. Le Front Polisarioa pour origine des nationalistes marxisants en rupture avec l’institution monarchique. Réfugiés au Sahara espagnol, ils s’en servaient comme base pour animer des réseaux de soutien au FLN algérien. Un temps, leurs vues ont été favorisées par l’Espagne de Franco. Celui-ci voulait préparer la décolonisation en créant de toutes pièces une entité étatique avec laquelle Madrid entretiendrait des relations préférentielles.

Par la suite, la Libye kadhafiste et l’Algérie indépendante, à la pointe du tiers-mondisme, ont soutenu ce projet artificiel, y compris par des livraisons d’armes. Arguant des principes fondateurs de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), un certain nombre d’Etats sont allés jusqu’à reconnaître une prétendue « République arabe sahraouie démocratique » (RASD). Sur le terrain, la Minurso (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) assure le respect du cessez-le-feu instauré en 1991 tandis que l’ONU travaille au règlement politique de ce conflit.

Dans cette affaire, on peut s’étonner du fait que l’avocat général de la CJUE ait rendu un avis favorable à la Western Sahara Campaign. D’une part, l’Union européenne et ses Etats membres ne reconnaissent pas la RASD. De l’autre,la précédente décision de la Cour sur l’accord agricole entre Bruxelles et Rabat, invalidé en raison des contestations relatives aux Provinces du Sud, a été à l’origine d’une grave crise diplomatique préjudiciable aux intérêts des deux parties.

Dans l’expectative quant aux conjectures normatives susceptibles de conduire la CJUE à fragiliser de nouveau le « partenariat stratégique » qui lie le Maroc à l’Union européenne, nous nous reporterons à la sagesse du droit naturel. Si l’aspiration au bien et à la vérité est universelle et immuable, la loi humaine doit adapter la loi naturelle à la mosaïque des circonstances et régler les situations contingentes.

En l’occurrence, rappelons la gravité des menaces qui pèsent sur l’environnement géographique du Maroc, avec ses contrecoups en Europe. A l’Est de la Méditerranée, le Moyen-Orient est déchiré par de multiples conflits, et son éventuelle déflagration aurait d’importants effets au Maghreb et dans le bassin occidental de la Méditerranée. Déjà, la Libye est en proie au chaos et la Tunisie, malgré le soutien occidental, pourrait être emportée. Quant à l’Algérie, l’immobilisme ne saurait occulter l’usure du système politique.

Sur ses frontières méridionales, le Maroc est confronté aux risques et menaces de la zone sahélo-saharienne, là même où Paris s’efforce de mettre sur pied le « G5-Sahel », afin de lutter contre le terrorisme islamique. Dans la profondeur du continent africain enfin, la forte croissance démographique, la fragilité des structures étatiques et l’impéritie de bien des dirigeants se conjuguent pour alimenter une immigration grandissante vers le Maghreb, avant de franchir la Méditerranée et de gagner la Vieille Europe qui n’en peut mais.

Aussi est-il crucial pour l’Union européenne et ses Etats membres de contribuer à la consolidation du Maroc, rare pôle de stabilité dans une région placée sous la menace d’une rupture d’équilibre. Alors que les présides espagnols de Ceuta et Melilla ont pris l’allure de bastions assiégés par les candidats au départ, la monarchie chérifienne, vaille que vaille, s’emploie à renforcer ses frontières, freinant ainsi la remontée vers le nord des migrants subsahariens. On lui en saura gré.

Sentinelle géopolitique de l’Europe postée sur les rives africaines de la Méditerranée, le Maroc porte également un modèle de développement qui combine tradition et modernité. Outre le fait que l’économie échappe à la « malédiction du pétrole », le souverain a réagi de manière adéquate au grand remue-ménage du monde arabe et su faire une place à l’islam politique, sans sacrifier la stabilité du pays à l’ouverture.

Quiddes Provinces du Sud ? Les efforts et investissements réalisés par Rabat ouvrent de réelles perspectives pour les habitants et, très majoritairement, les capitales occidentales considèrent le plan d’autonomie présenté par Rabat comme sérieux, crédible et réaliste. Assurément, cette solution est préférable à celle d’un énième « Etat failli » virtuel sur le continent africain.

A l’évidence, la situation présente de multiples facettes et la rigueur des enchaînements logiques ne suffira pas. L’esprit de justesse requiert l’esprit de géométrie, mais aussi l’esprit de finesse : l’art du fin est le jugement. Il faut espérer que les juges européens, le moment venu, s’en souviendront et nous administreront une belle leçon de droit.


Par Jean-Sylvestre Mongrenier

Atlantico

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