Recep Tayyip Erdogan acculé par les scandales et la contestation

Isolé, l’islamo-conservateur veut durcir les lois liberticides et cherche de nouveaux alliés

C’est un Premier ministre aux abois qui désormais fait feu de tout bois, dénonçant les «complots» de l’étranger et clamant que la Turquie est «dans une seconde guerre d’indépendance» – en référence à celle de l’après-premier conflit mondial, quand le pays résistait aux tentatives de dépeçage des Occidentaux. «Recep Tayyip Erdogan ne tente pas seulement de survivre politiquement au scandale qui l’éclabousse, mais il joue aussi là ce que sera sa vie après la politique», souligne le politologue Menderes Cinar, spécialiste de l’AKP, le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002.

Sa tentative de contrôle du pouvoir judiciaire avec une mise sous tutelle politique du Haut Conseil des juges et des procureurs (HSYK) n’est qu’un nouvel épisode d’un tournant autoritaire, accentué après les manifestations de rue du printemps dans la capitale comme dans les principales villes du pays. Samedi soir encore, la police réprimait violemment sur la place Taksim d’Istanbul quelques milliers de manifestants qui protestaient contre un projet de loi toujours plus liberticide sur Internet. Ce dernier bloquerait l’accès à plus de 40 000 sites web, l’utilisation de centaines de mots-clés et devrait permettre à l’autorité gouvernementale en charge des télécommunications de conserver pendant deux ans les dossiers d’activité de chaque internaute.

Collimateur. La priorité du Premier ministre reste néanmoins de paralyser les enquêtes anticorruption qui le visent lui et ses proches, victimes, selon lui, de la confrérie islamiste de Fethullah Gülen, longtemps son alliée mais qui conteste désormais son pouvoir. Sur le plan idéologique, peu de choses les séparent, mais les «gülénistes» ont toujours misé sur le social et l’infiltration dans l’administration plutôt que sur la conquête du pouvoir politique.

Recep Tayyip Erdogan, qui manquait de cadres après sa victoire électorale de novembre 2002, s’est donc appuyé sur eux, leur permettant de bâtir un immense pouvoir occulte qu’il dénonce aujourd’hui. Plus de 3 000 hauts fonctionnaires ont été limogés, notamment dans la police, et plus d’une vingtaine de procureurs ont été déplacés, à commencer par Zekeriya Oz, maître d’œuvre des investigations qui ont conduit aux arrestations, le 17 décembre, d’une vingtaine de hauts responsables de l’AKP. Même réduit à l’impuissance, Oz reste dans le collimateur. «Deux magistrats que je respecte ont été envoyés par le Premier ministre pour me dire de lui faire des excuses et que, sinon, j’en subirais les conséquences», affirmait la semaine dernière, dans un communiqué, ce magistrat aux méthodes déjà très contestées dans les enquêtes sur les complots de l’armée.

Ouverture. En quête d’alliés, le gouvernement islamo-conservateur tente même une ouverture vers les militaires, évoquant des possibles nouveaux procès pour les quelques centaines de hauts gradés condamnés pour de présumées tentatives de renversement du pouvoir de l’AKP, sur la base de preuves que ces derniers ont toujours dénoncées comme «manipulées» par les «gülénistes».

C’est juridiquement difficile et surtout politiquement hasardeux, d’autant que les militaires incarcérés restent réticents. «Nous n’accepterons pas que des accusations de corruption soient étouffées en échange d’une amnistie en notre faveur, d’autant que nous ne voulons pas une amnistie mais un acquittement», a déclaré l’ex-chef d’état-major Ilker Basbug, condamné à la prison à perpétuité.

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