Rapport de l’Institut Montaigne sur les musulmans en France: réaction de l’islamologue Abderrahim Hafidi

Un rapport de l’Institut Montaigne, publié dimanche 18 septembre dans le JDD, regroupe les musulmans de France en trois catégories, des plus sécularisés aux plus en rupture avec la société française.
Cette étude de l’Institut Montaigne, « think tank » d’obédience libérale, s’adosse à un sondage de l’Ifop, réalisée alors que la vague d’attentats jihadistes depuis 2015 et l’approche de la présidentielle enflamment les débats sur la place de l’islam. Ce sondage a été conduit auprès de 1.029 personnes de confession ou de culture musulmane (dont 874 se déclarant musulmanes), extraites d’un échantillon de 15.459 métropolitains âgés de 15 ans et plus.
Le rapport, intitulé « Un islam français est possible », avance que les musulmans comptent pour 5,6% des habitants de métropole. L’Ifop a calculé que 46% sont « soit totalement sécularisés, soit en train d’achever leur intégration » sans renier leur religion. Un deuxième groupe, représentant 25%, est plus pieux et plus identitaire tout en rejetant le voile intégral. Le dernier groupe, que l’Ifop évalue à 28%, réunit des croyants qui auraient « adopté un système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République », s’affirmant « en marge de la société ». Les jeunes, les moins insérés dans l’emploi et les convertis sont les plus disposés à adhérer à ce modèle. Mais une écrasante majorité des musulmans interrogés ne refusent pas la mixité, acceptant de se faire soigner par un médecin (92,5%) ou de serrer la main d’une personne (88%) du sexe opposé. Côté pratiques, la première est alimentaire: 70% des répondants déclarent « toujours » acheter de la viande halal. La question du voile est plus clivante: si 65% se déclarent favorables au port du foulard (et 24% à celui du niqab), seules 37% des personnes de culture musulmane considèrent que les jeunes filles devraient pouvoir porter le voile au collège et au lycée.
Atlasinfo.fr a demandé à l’islamologue Abderrahim Hafidi de réagir sur le contenu de ce rapport.

Par Abderrahim Hafidi

Une lecture du sondage commandé pas l’institut Montaigne représente à la fois un aperçu partiel de ce que sont les musulmans ( ou se déclarant comme tels !) et recèle une foule d’ambiguïté au moins à deux niveaux : scientifique et politique 1- comme tous les sondages, celui-ci n’échappe pas au "péché mignon " de l’instantanéité et ses contingences . En effet, un sondage est une commande conjoncturelle qui répond à un intérêt (celui du commanditaire) et dont les résultats doivent être globalement conformes aux attentes de ceux qui l’ont commandité! L’Institut Montaigne, think thank "libéral et progressiste", milite depuis longtemps à l’avènement d’une société ouverte et libérale. Mais le plus important dans tout sondage (et celui-ci n’échappe pas à la règle ) réside dans la construction et la formulation des questions. Le sondage sur les musulmans de France n’échappe pas à cette loi. Surtout quand la question posée risque de simplifier "drastiquement" le sujet complexe qu’elle tente d’appréhender.

L’exemple le plus frappant dans ce sondage est le rapport des musulmans à la Charia ! Pourquoi isoler cet exemple pour illustrer le propos ? Parce que ce thème est parmi ceux dont on parle le plus, celui qui produit chez nos concitoyens toute sorte de représentations et de fantasmes ! En l’occurrence, tout se passe comme si les musulmans interrogés ( dont l’échantillon n’est pas représentatif car limité à 1000 personnes triés on ne sait comment, sur quel critère ?) possèdent un savoir exhaustif et complet sur la CHARI’A -système de normes et de règles profanes car émanant d’une interprétation humaine de la révélation et non d’une quelconque autorité divine , faut-il le rappeler- qui leur permet de répondre "Comme un seul homme" à la question de la prééminence de celle-ci sur les lois de la République ! La question posée ne peut aboutir qu’à une réponse biaisée et donc contre-productive car faisant croire aux autres citoyens non musulmans que ces derniers "savent de quoi ils parlent "! Autre faille saillante à ce sujet : l’ambiguïté avec laquelle les musulmans sont "sommés" de répondre à un sujet complexe sur lequel il existe une discorde totale chez les musulmans eux mêmes ( chiites, sunnites, Malékites, hanbalites. … ) .

En outre, a-t-on jamais interrogé les catholiques ou les juifs sur la compatibilité et la hiérarchie qu’ils posent entre leur loi religieuse et l’espace sécularisé ? Nous serons surpris des réponses qui, vraisemblablement relativiseraient la singularité de la "réponse islamique"! c’est à l’aune de cette " généralisation " de la question aux autres religions dans un contexte historique trouble et creux pour les autres religions, que nous pourrions mesurer le degré "d’éloignement" ou de "refus" chez les musulmans des lois républicaines ! Il existe en effet tout un pan de la société (croyants ou pas) qui a opéré une rupture avec l’espace républicain et ne croit plus aux vertus de la démocratie ! 42% des Français se situent désormais dans les extrêmes de l’échiquier politique (de Mélenchon au Front National ). La différence avec les musulmans "en rupture de banc " est, comme le dit si bien Hakim El Karoui , un des instigateurs de ce sondage, que ces derniers ont sous la main " un support de contestation " qu’est l’islam , une sorte "D’idéologie de combat " comme le disait notre regretté ami Mohammed Arkoun ! Alors que les autres expressions religieuses (ou pas) sécularisées se retrouvent orphelins d’un levier de contestation de l’ordre social et de ses valeurs ! A moins que les "césures politiques", qu’on a observées lors des débats et même après la promulgation de la loi sur "le mariage pour tous", ne donne à une partie de la société l’occasion de donner la pleine mesure de sa colère et sa dissidence avec les lois de la République pourtant légalement validées ! Cette césure n’a jamais été mise en relation avec une quelconque référence religieuse chez les catholiques, ralliées à cette occasion à une frange de musulmans intégristes!

La seule question qui vaille est : pourquoi en terre d’islam, le recours à la religion comme une ressource inépuisable de dé-légitimation et de contestation, prime sur tout autre support ! Mais, cette question ne relève pas de la " sondacratie" mais d’une réflexion de fond qui combine histoire et théologie, imaginaire et psychologie ! Les conséquence politiques de ce sondage n’ont pas tardé à se faire jour : Dès sa publication, les commentateurs n’ont pas boudé leur plaisir d’appuyer non pas sur les 75% des musulmans "sécularisés, mais sur les 25 à 30 % de ceux qui déclarent leur "hostilité" au modèle et aux normes républicains.

Autre " bizarrerie" de ce sondage est ce que j’appelle " l’équation féminine". Alors que les travaux sociologiques de toutes obédiences, ajoutés aux observations empiriques depuis des décennies déclinent une socialisation avancée des femmes aux valeurs centrales de la société, le sondage fait apparaître une nouvelle donne qui dément ce constat et présente la femme musulmane comme plus conservatrice par rapport à l’homme ! Aucun autre éclairage ne vient l’étayer en dehors des questions qui touchent les rapports à l’homme (faire la bise, consulter un médecin…). Je n’exclus pas la possibilité d’une évolution de la "gente féminine" musulmane, mais de là à inverser une tendance lourde constatée depuis les années 80 et jamais démentie …

En somme, ce sondage, quoiqu’il a été réalisé il y a de cela quelques mois, n’a pas échappé à la contingence et les pressions post 13 novembre. Sa publication post attentats de Nice et l’assassinat du Père Hamel lui confère une connotation particulière, la coïncidence avec les propos sulfureux et ouvertement islamophobes d’Eric Zemmour et de Claude Goasguen et l’emballement de la Campagne pour " les primaires présidentielles" ne peuvent que détourner l’opinion des aspects positifs de ce sondage ( et il y en a !) et conforter, par ces temps pénibles, la conviction que les musulmans, malgré les malheurs qui a frappé le pays, restent imperturbables et attachés qu’ils sont à des valeurs incompatibles avec les loi de la République ! c’est, à mon sens, un des aspects les plus discutables de ce sondage.

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