Quand l’Europe fermait les yeux sur les écoutes

Malgré l’indignation suscitée par les révélations dans l’affaire Snowden, l’Union sait depuis plus de quarante ans qu’elle est surveillée par les services américains.

Mémoire courte ? Hypocrisie ? Les cris d’orfraie que poussent les dirigeants européens, depuis que le Spiegel et le Guardian ont révélé que la NSA espionne les pays du Vieux Continent et les institutions communautaires à Bruxelles et ailleurs, sont un rien stupéfiants. Car, s’il y a bien une chose que chacun sait à Bruxelles et dans les capitales européennes, c’est que les Américains les surveillent depuis longtemps, et qu’ils sont loin d’être les seuls : la Chine, la Russie, le Japon ou encore le Canada, mais aussi les Etats membres entre eux ou vis-à-vis des pays tiers, Etats-Unis compris, se livrent à ce type d’activité. «Tout le monde fait du renseignement, dans un but de sécurité ou commercial. Il est hallucinant d’entendre Christiane Taubira parler "d’acte d’hostilité inqualifiable"», s’étonne un diplomate européen. «Je me demande pourquoi on s’étonne : cette surveillance à grande échelle de l’Union n’est pas une nouvelle», confirme l’eurodéputée libérale néerlandaise Sophie in’t Veld, vice-présidente de la commission des libertés publiques. «Mais je me réjouis de ces protestations, même si je doute qu’il y ait une réelle volonté de changer les choses.»

Stations.Les Européens semblent avoir oublié l’existence du réseau américain Echelon, qui scrute depuis les années 70 les conversations téléphoniques, fax, courriels du monde entier, y compris de l’UE. Des stations d’écoutes sont même installées dans les pays considérés comme particulièrement sûrs par les Etats-Unis, la principale étant située au Royaume-Uni…

L’existence de ce réseau a été révélée en 1988, mais il faudra attendre la fin du XXe siècle pour que l’Europe s’en inquiète : il faut dire qu’un certain nombre de pays, à commencer par l’Allemagne, bénéficient des «grandes oreilles» américaines…

C’est alors le Parlement européen qui sonne la charge contre ce qui apparaît comme une gigantesque violation des droits civils en créant une commission d’enquête, fin 2000. Son volumineux rapport, remis en juillet 2001, quelques semaines avant le 11-Septembre, tombe dans l’oubli : la lutte contre le terrorisme l’emporte sur la préservation des libertés publiques. Douze ans plus tard, Echelon est toujours en activité et a même dû considérablement se perfectionner, comme le montre le scandale actuel.

Il est en tout cas certain que ce qui se passe à Bruxelles, en particulier, n’a guère de secret pour les Etats-Unis, qui peuvent compter sur leur allié britannique pour les renseigner. Ainsi, le 1er mars 2001, Libération a révélé qu’un Britannique de la Commission, Desmond Perkins, chef du bureau chargé du cryptage des communications au sein de l’exécutif européen, avait fait vérifier ses systèmes par la National Security Agency (NSA) avec laquelle il entretenait les meilleures relations. Que l’on se rassure : la NSA a assuré, après deux semaines de travail, qu’elle n’avait pas réussi à percer les codes européens… Perkins n’a jamais été sanctionné pour cette désinvolture : il est vrai que son patron était lui-même Britannique, en l’occurrence Chris Patten, commissaire chargé des relations extérieures.

Deux ans plus tard, une autre affaire défraie la chronique bruxelloise. En mars 2003, en pleine crise irakienne, le Conseil des ministres de l’UE révèle qu’il a découvert que son siège était truffé de micros : des «dispositifs électroniques» d’écoutes ont été coulés dans le béton pendant la construction de son siège, entre 1989 et 1995. Six délégations étaient particulièrement visées : l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Autriche. L’affaire n’a jamais été élucidée, même si beaucoup ont soupçonné Israël ou les Etats-Unis d’avoir trempé dans le coup.

Entremise. En 2006, rebelote. Le New York Times révèle que la société américaine SWIFT, basée à Bruxelles, transmet depuis 2002 à la CIA et au département du Trésor l’ensemble des données relatives aux transactions bancaires européennes, qui passent obligatoirement par son entremise. De même, Washington exige, depuis le 11-Septembre la transmission automatique des données concernant les passagers européens (PNR) se rendant aux Etats-Unis, même si elles ont été collectées par des compagnies européennes.

Dans les deux cas, c’est le Parlement européen qui s’est insurgé et a obtenu, en 2010 pour SWIFT et en 2012 pour les PNR, un minimum de garanties pour les Européens lors de la transmission des données vers les Etats-Unis. En sera-t-il de même cette fois ?

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