Pr Frédéric Rouvillois : en excluant les civils de la compétence du tribunal militaire, le Maroc a accompli une « avancée extrêmement ambitieuse »

Dans un entretien au site Atlasinfo, Frédéric Rouvillois*, professeur agrégé de droit public à Paris V et historien des idées, estime que l‘adoption d’un projet de loi par le Maroc prévoyant l’exclusion des civils de la compétence du tribunal militaire quels que soient les crimes commis, répond aux standards internationaux les plus exigeants et aux critères de l’Etat de droit. Pour ce juriste qui centre ses travaux sur le droit de l’État, il note que cette réforme va rompre avec la culture des tribunaux d’exception, de réaliser des réformes annoncées par le Roi les 9 mars et 17 juin 2011 et de confirmer que le mouvement de « parachèvement de l’Etat de droit » se poursuit.

Propos recueillis par Hasna Daoudi

Lors d’un Conseil des ministres, présidé hier par le Roi Mohammed VI, il a été décidé l‘adoption d’un projet de loi prévoyant l’exclusion des civils de la compétence du tribunal militaire quels que soient les crimes commis. Cela implique quoi exactement ?

Cela implique que, conformément aux standards internationaux les plus exigeants et aux critères de l’Etat de droit, les civils sont exclus en toute circonstance de la compétence personnelle du tribunal militaire, y compris les civils employés par les FAR et les civils complices des militaires. Une avancée extrêmement ambitieuse, puisqu’elle va non seulement au-delà de ce qui se pratique habituellement de nos jours, et même au-delà de ce qu’exige, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme qui admet que le pouvoir de la justice pénale militaire s’étende aux civils s’il existe des raisons impérieuses justifiant une telle situation. Une avancée ambitieuse, donc, mais qui à l’avantage, au-delà des considérations juridiques, de manifester très fortement la volonté marocaine d’avancer dans la bonne direction : de rompre avec la culture des tribunaux d’exception, de réaliser des réformes annoncées par le Roi les 9 mars et 17 juin 2011 et de confirmer que le mouvement de « parachèvement de l’Etat de droit » se poursuit peu à peu, imperturbablement.

Cette réforme, recommandée par le Conseil National des droits de l’Homme, est-elle conforme aux dispositions de la Constitution de juillet 2011, à la législation internationale des droits de l’Homme et à la jurisprudence internationale ?

Tout à fait ; elle a manifestement pris soin de se conformer au plus près à ces engagements, par exemple, aux exigences qui figurent dans le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, ou dans la Convention des droits de l’enfant. Ce faisant, les initiateurs du projet ne font d’ailleurs qu’obéir à la Constitution, dont le Préambule déclarait « accorder aux conventions internationales dûment ratifiées (…) la primauté sur le droit interne du pays, et (devoir) harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale. » Quant au Roi, il affirmait dans son discours du 17 juin 2011, « la prééminence des conventions internationales telles que ratifiées par le Maroc, par rapport aux législations nationales » ; ce qui implique la mise en conformité de ces dernières. C’est ce qui est en train de se réaliser…

Le projet de loi relatif à cette réforme dote également la cour militaire de chambres d’appel. Est-ce une garantie pour renforcer les droits des justiciables à un procès équitable ?

Bien sûr, c’est une garantie essentielle, notamment en ce qu’elle contraint la juridiction de première instance à juger aussi sérieusement et aussi impartialement que possible, en sachant qu’elle pourra être contrôlée et éventuellement désavouée en appel. Sans parler de la compétence de cassation de la Cour suprême. En fait, ce mécanisme réintègre le tribunal militaire parmi les institutions judiciaires spécialisées, en brisant avec le modèle du « tribunal d’exception ». D’autant qu’il ne s’agit pas de la seule avancée procédurale : on constate aussi l’alignement des procédures devant le tribunal militaire sur celles en vigueur devant les tribunaux ordinaires. C’est cet ensemble cohérent qu’il faut considérer, et saluer…

Ce projet de loi, qui sera soumis au Parlement marocain pour examen, constitue-t-il un nouveau jalon pour consolider davantage la construction de l’État de droit ?

Là encore, cela me semble incontestable : tel était d’ailleurs l’objectif poursuivi. Il suffit à ce propos de noter le satisfecit du président du Conseil National des droits de l’Homme, Driss El Yazami, ou les approbations de certaines ONG, pour comprendre que le but a été atteint.

*Frédéric Rouvillois est auteur de nombreux ouvrages. Il vient de publier "Crime et utopie. Une nouvelle enquête sur le nazisme", Flammarion, 362 pages.

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