Paris négocie à Bagdad le transfert de ses jihadistes de Syrie

Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian discute jeudi à Bagdad du possible transfert et jugement en Irak des jihadistes étrangers, dont 60 Français, aux mains des Kurdes syriens, actuellement visés par une offensive turque qui fait planer un "risque de dispersion".

Depuis qu’Ankara a lancé le 9 octobre sa campagne contre une milice kurde en Syrie, les Européens, marqués par la série d’attaques sanglantes des dernières années à Paris ou encore Berlin, redoutent que les 12.000 jihadistes détenus par les Kurdes -dont 2.500 à 3.000 étrangers- ne s’évadent pour redonner corps au groupe Etat islamique (EI), dont le "califat" territorial a été défait en mars dernier.

Jeudi, M. Le Drian doit rencontrer son homologue irakien Mohammed Ali al-Hakim, le président Barham Saleh et le Premier ministre Adel Abdel Mahdi, pour, a-t-il dit, "faire en sorte, avec les autorités irakiennes, que l’on puisse trouver les moyens d’avoir un dispositif judiciaire susceptible de juger l’ensemble de ces combattants, y compris a priori les combattants français".

Jusqu’ici, 14 Français ont été condamnés par des tribunaux irakiens pour avoir rejoint l’EI. Parmi eux, 12 avaient été transférés depuis les prisons des Kurdes de Syrie vers Bagdad. Onze ont écopé de la peine de mort et trois autres –dont deux femmes– de la perpétuité.

Evoquant la possibilité "de juger ceux qui seraient pris en charge par les forces irakiennes" parmi les jihadistes étrangers toujours aux mains des Kurdes syriens, M. Le Drian a précisé que les discussions portaient désormais sur la création d’un nouveau "mécanisme juridictionnel".

Il devra permettre de juger les jihadistes étrangers dans des tribunaux irakiens suivant un certain nombre de principes de justice, affirme-t-on de source diplomatique française.

– Aide financière –

Bagdad, l’un des cinq pays au monde qui ordonne le plus de peines capitales, a déjà condamné plus de 500 étrangers de l’EI –hommes et femmes dont plusieurs centaines à la mort–, mais aucun n’a jusqu’ici été exécuté.

Deux jihadistes belges ont écopé de la peine de mort, tandis qu’une Allemande a vu sa sentence commuée en peine de prison à perpétuité en appel.

Les pays européens s’opposent à la peine de mort et les organisations de défense des droits humains dénoncent "de vrais risques de torture" et "aucune garantie pour des procès équitables" dans ce pays.

L’Irak avait déjà proposé en avril de juger l’ensemble des jihadistes étrangers retenus en Syrie en échange d’environ deux milliards de dollars.

Les discussions se sont accélérées avec le lancement de l’opération turque contre la milice kurde qui détient les jihadistes puis l’entrée en scène de l’armée de Bachar al-Assad aux côtés des Kurdes.

Mardi, des experts de sept pays européens (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark et Suède) ont été dépêchés à Bagdad. Ils ont proposé formation, assistance au tribunaux et aide financière à la justice irakienne, explique-t-on de source européenne.

"Il y a des discussions entre Américains, Britanniques, Français et Irakiens sur le financement de la construction de prisons", affirme Hicham al-Hachémi, spécialiste des mouvements jihadistes, interrogé par l’AFP à Bagdad.

– Combattants et épouses –

Le temps presse devant le chaos généré par l’offensive turque même si M. Le Drian assure que la situation reste pour l’instant sous contrôle dans les camps du nord-est syrien.

Deux jihadistes belges se sont toutefois déjà échappés d’une prison et le Conseil de sécurité de l’ONU a mis en garde mercredi contre le "risque de dispersion" des jihadistes.

Le régime de Damas, qui reprend peu à peu le contrôle des zones où les Kurdes jouissaient d’une semi-autonomie depuis le début de la guerre civile en 2011, pourrait aussi mettre la main sur les jihadistes étrangers et leurs familles et les exhiber ou les instrumentaliser, un scénario redouté dans les chancelleries européennes.

Environ 12.000 femmes et enfants de combattants de l’EI sont retenus dans des camps de déplacés du nord-est syrien souvent surpeuplés, comme à Al-Hol.

La France, qui compte environ 200 ressortissants adultes et 300 enfants dans les camps et prisons sous contrôle kurde refuse, comme nombre d’autres pays, de les rapatrier en raison des craintes d’attentats et de l’hostilité de l’opinion, et souhaite qu’ils soient jugés au plus près de là où ils ont commis leurs crimes.

Les épouses françaises, considérées par les autorités comme tout aussi radicalisées que les hommes, sont donc susceptibles d’être jugées également en Irak, au même titre que les quelque 60 jihadistes français actuellement détenus en Syrie.

Les familles réclament pour leur part des rapatriements de crainte que leurs proches se retrouvent au coeur des combats et que "des enfants innocents soient tués ou blessés en plus grand nombre".

Dimanche dernier, quelque 800 proches de jihadistes se sont déjà évadés d’une structure accueillant les "familles de l’EI" à Aïn Issa, selon les autorités kurdes.

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