Ouarzazate Le solaire au zénith

Misant sur son ensoleillement exceptionnel, le Maroc s’est engagé dans un plan ambitieux pour réduire sa dépendance énergétique. La «porte du désert» ouvre le chemin.

La route file au cœur d’un plateau ocre et désertique, cerné par une muraille montagneuse aux crêtes calottées de neige. Azuréen, le ciel se mire dans le lac lové au cœur d’une palmeraie verdoyante… A cette heure matinale, début avril, la lumière n’écrase pas encore les contrastes mais les souligne à la manière d’un peintre. Au pied des contreforts de l’Atlas et à la lisière du Sahara, on découvre les paysages et la lumière qui ont fasciné tant de cinéastes du monde entier. De Lawrence d’Arabie à Indigènes en passant parKundun ou la Dernière Tentation du Christ, les grandes productions cinématographiques ont trouvé à Ouarzazate un studio à ciel ouvert, recherché car baigné de soleil plus de trois cents jours par an. Une irradiation et une lumière qui ouvrent désormais un nouvel horizon à la cité berbère qu’on surnomme la «porte du désert» : Ouarzazate va abriter l’une des plus grandes centrales solaires au monde – la plus importante en Afrique -, et le projet phare du plan solaire que le Maroc, dépourvu d’hydrocarbures, a érigé en priorité nationale.

A une dizaine de kilomètres au nord-est de la ville, il faut quitter la nationale qui continue vers Errachidia, et emprunter une petite route récemment construite pour découvrir, à Tamzaghten Izerki, un immense chantier. Pelleteuses en action, batterie de 4 × 4 alignés devant les préfabriqués qui abritent les bureaux de l’exploitant, Acwa Power, chaussées en construction, atelier d’assemblage, citernes d’eau, champs de pylônes… Même si l’activité est multiple, le bruit et l’animation restent faibles car le tout est éparpillé sur plus de 3 000 hectares. L’équivalent de la surface de Rabat !

Baptisé Noor – «lumière» en arabe -, le plan solaire Marocain a été lancé en 2009 par le roi Mohammed VI afin de réduire la dépendance énergétique du pays. Il prévoit l’installation sur cinq sites de 2 000 mégawatts d’ici 2020. Un investissement évalué à 9 milliards de dollars (6,5 milliards d’euros) pour fournir 14% des besoins énergétiques du pays. Piloté par la Moroccan Agency for Solar Energy (Masen), une agence créée en 2010, le plan solaire commence à se concrétiser à Ouarzazate avec un gigantesque complexe de quatre centrales, pour une puissance totale de 500 MW. La construction de la première – Noor 1 – ainsi que son exploitation durant vingt-cinq ans ont été attribuées, à l’issue d’un appel d’offres international, au saoudien Acwa Power, associé en consortium à des sociétés espagnoles. Pour les trois suivantes, les entreprises adjudicataires doivent être désignées d’ici la fin de l’année.
Mohamed el-Bacha, ingénieur d’Acwa Power, est chargé de nous guider en voiture à l’intérieur du chantier.«Ici, on peut tabler sur un rendement optimal, assure-t-il. Le ciel est dégagé 80% du temps, le soleil est puissant, le rayonnement important et la chaîne montagneuse bloque la plupart des turbulences.» Situé à l’écart des zones habitées, le site bénéficie également de la proximité du barrage Mansour Eddahbi, qui garantit une réserve d’eau pour le fonctionnement des turbines. Noor 1, dont le coût est estimé à 600 millions d’euros pour 160 mégawatts sur 450 hectares, devrait injecter les premiers kilowattheures dans le réseau électrique Marocain en août 2015. Mais, pour l’heure, il faut faire preuve d’imagination ! De la voiture – on n’est pas autorisé à descendre -, on aperçoit de vastes parcelles de terre rouge disparates ; certaines sont encore en cours de nivellement ; sur d’autres, les forages sont en cours ; plus loin, des pylônes ont été implantés ; sur l’une d’elles, ils sont coiffés de grands miroirs paraboliques scintillant au soleil. «A peine 2% du parc de capteurs est installé, 30% des fondations sont faites et le terrassement sera achevé dans trois mois, précise Mohamed el-Bacha. A terme, il y aura ici des miroirs à perte de vue !»

Un moteur oriente le capteur selon la trajectoire du soleil

La Masen a opté pour la technologie de l’énergie solaire concentrée. Des miroirs géants cylindro-paraboliques réfléchissent et concentrent la chaleur du soleil sur un tube dans lequel circule une huile. Cette dernière recueille l’énergie calorifique et la transporte vers une centrale où elle est associée à l’eau. La vapeur active alors des turbines qui génèrent de l’électricité. Un petit boîtier doté d’un moteur oriente le capteur selon la trajectoire du soleil. Un choix qui peut étonner au vu du coût bien plus intéressant du kilowattheure produit par la technologie photovoltaïque ? «Quand la décision a été prise, le photovoltaïque n’était pas aussi compétitif, rappelle Cédric Philibert, analyste de l’Agence internationale de l’énergie, au sein de la division des énergies renouvelables. Et personne ne pouvait prévoir que les prix du photovoltaïque baisseraient aussi vite !»

Le solaire concentré reste de toute façon très attractif pour le site de Ouarzazate, qui offre un taux de radiation solaire supérieur de 20% au meilleur spot européen au sud de l’Espagne, et un ciel rarement voilé. Le grand atout de cette technologie par rapport au photovoltaïque, c’est la possibilité de continuer à produire de l’électricité la nuit. Grâce à la technique des sels fondus qui emmagasinent l’énergie collectée, Noor 1 disposera ainsi de trois heures de stockage thermique. «Crucial au Maroc, où la pointe de consommation survient après le coucher du soleil, observe Cédric Philibert. Il en faudrait même plus, cinq heures environ, pour éviter de devoir recourir après le coucher du soleil aux centrales à fioul, qui fournissent l’essentiel de l’électricité au Maroc.»

Une marche vers l’indépendance énergétique

L’objectif du plan solaire Marocain est justement de réduire la dépendance énergétique du royaume. «Le pays est dépourvu de ressources carbonées, gaz ou pétrole, rappelle Obaid Amrane, membre du directoire de la Masen. Aujourd’hui, il est totalement dépendant de l’étranger pour ses besoins énergétiques et subit donc les fluctuations du cours du baril de pétrole.»Le Maroc importe 96% de l’énergie consommée, dont 61% sont issus du pétrole. Une facture colossale qui plombe le budget national. En outre, dans ce pays jeune, la demande des ménages en électricité ne cesse d’augmenter, la consommation d’électricité a d’ailleurs doublé au cours de la dernière décennie. L’essor de l’activité économique engendre aussi une hausse des besoins en énergie. «Pour accompagner la croissance du pays, nous devons accroître la capacité de production et développer le secteur industriel», poursuit Obaid Amrane. Le Maroc, qui dispose de ressources éoliennes et solaires exceptionnelles, a la «volonté politique de s’engager sur la voie d’une croissance verte». Le gouvernement mise donc avec détermination sur les énergies renouvelables.«En 2020, 42% de la capacité de production du pays proviendra des énergies renouvelables, dont 14% par le solaire, 14% parl’éolien, et 14% par l’hydraulique», assure la Masen. Les bailleurs de fonds internationaux – la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, la banque allemande KfW… – qui soutiennent le projet Noor, saluent cet engagement vers l’atténuation du changement climatique et la réduction de l’empreinte carbone du Maroc. Au total, le plan solaire évitera l’émission de 3,7 millions de tonnes de CO2 par an à partir de 2020.

Un outil de développement territorial

Le développement de la filière industrielle solaire et des infrastructures associées est aussi conçu comme une opportunité d’aménagement du territoire et de développement des régions dans lesquelles elles s’implantent, ajoute Obaid Amrane. «Nous allons pouvoir valoriser des étendues foncières à faible valeur économique, les meilleurs spots solaires du pays se situent dans des zones désertiques.» Près de Ouarzazate, les terres choisies étaient sous le régime de la propriété collective et servaient au pâturage de maigres troupeaux de chèvres. Peu fertiles, rocailleuses, elles ont été rachetées par l’Etat, qui s’est engagé à réaliser des investissements au profit des communautés villageoises. Des petites routes ont été construites pour relier les douars (minuscules villages) à la nationale. Une caravane médicale a été organisée, une mosquée rénovée, une salle polyvalente construite, des canalisations pour drainer l’eau ont été réalisées afin de favoriser l’agriculture vivrière (amandes, dattes, huile d’olive, chèvres…).
L’impact en termes d’emploi est visible. «Il y a déjà 800 salariés d’Acwa Power à pied d’œuvre sur le chantier, il y en aura 1 400 dans quelques mois dont 85% de Marocains», assure Mohamed el-Bacha. Une stratégie globale de formation a été engagée par la Masen pour assurer la viabilité du projet et fixer la population sur place grâce à ces emplois qualifiés. Une filière «Energies renouvelables» existe déjà à la faculté de Ouarzazate et devrait être complétée par un institut technique. «Le recrutement est effectué par l’Agence pour l’emploi Marocaine, qui place en tête de liste les habitants des villages voisins et ceux dont on a racheté les terres», assure El-Bacha.

Les autorités régionales se réjouissent du début de désenclavement de la zone : la route qui relie Ouarzazate à Marrakech à travers la chaîne montagneuse va être élargie et modernisée, ce qui abaissera le temps de trajet de quatre à deux heures trente. La desserte aérienne de Ouarzazate est appelée à se densifier : le groupe espagnol de BTP chargé de la construction pousse à l’ouverture d’une ligne Madrid-Ouarzazate qui faciliterait les déplacements de son personnel. L’entreprise espagnole Acciona, un des partenaires d’Acwa Power, a aussi loué à long terme un hôtel quatre étoiles de Ouarzazate. Une dynamique, un effet d’entraînement sur l’emploi et l’activité économique qui devrait s’accompagner d’un développement des équipements hospitaliers et scolaires pour satisfaire les familles des techniciens et des ingénieurs appelés à travailler sur le chantier. Quant aux mesures d’accompagnement du projet Noor 1, elles améliorent progressivement les conditions de vie des villages alentour. Des navettes seront ainsi proposées pour conduire les employés sur le chantier jusqu’à la mise en place de transports publics.

Sous le soleil exactement, la perle du sud Marocain se remet à rêver : les tournages interrompus depuis quelques années, à cause de la frilosité des assurances lors du printemps arabe, ont repris depuis décembre – Werner Herzog vient d’y tourner avec Nicole Kidman – et la construction des centrales la propulse en position de leader de l’énergie solaire.

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