Ouagadougou: discours du chef de la diplomatie marocaine au sommet extraordinaire de la CEDEAO

Une session extraordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la lutte contre le terrorisme s’est ouverte samedi à Ouagadougou, avec la participation d’une délégation représentant le Roi Mohammed VI.

Sur très hautes instructions Royales, une délégation composée du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, M. Nasser Bourita, et du Directeur Général d’Études et Documentation, M. Mohamed Yassine Mansouri, représente le Souverain aux travaux de cette session.

Ci-joint le discours intégral du ministre des Affaires étrangères, M. Bourita :

Monsieur le Président de la République du Burkina Faso,
Monsieur le Président de la République du Niger, Président de la CEDEAO,
Messieurs les Chefs d’Etats [et de Gouvernement] de la CEDEAO,
Monsieur le Président de la Commission de l’UA,
Excellences, Mesdames et Messieurs,

Avant toute chose, je m’honore de vous transmettre, à vous
personnellement, Monsieur le Président, et à Leurs Excellences les Chefs
d’Etat [et de Gouvernement] ici présents, les salutations fraternelles de
Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, et Ses vœux de
succès et de réussite pour cette Session extraordinaire de la Conférence
des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO.

Sa Majesté le Roi a tenu à ce que le Royaume du Maroc réponde présent
à l’invitation que Lui a adressée Son Excellence Mohamadou ISSOUFOU,
pour prendre part à ce sommet extraordinaire, en partenaire de premier
plan de la CEDEAO.

Cette présence, ici, se veut une marque de l’excellence des relations
d’amitié et de coopération avec l’ensemble des pays de la région.
Elle est, aussi, une expression de la solidarité – pleine, sincère et
agissante – du Royaume avec la République sœur du Burkina Faso, au
lendemain des actes terroristes barbares qui l’ont endeuillée, mais
également avec les pays membres de la CEDEAO dans la lutte contre le
terrorisme.

La tenue de ce grand événement, aujourd’hui, à Ouagadougou, est déjà

une réussite, en soi :
− c’est une levée courageuse, face à la lâcheté du terrorisme et de ses
fomenteurs ; et
− c’est une démonstration de l’aplomb de la Nation burkinabè, de la
stabilité de son Etat et de la solidité de ses institutions.

Monsieur le Président,
Excellences, Mesdames et Messieurs,

Nombreuses sont les réunions auxquelles nous prenons part,
régulièrement, sur la lutte contre le terrorisme. Mais, ce Sommet
extraordinaire n’est pas une énième rencontre – ce n’est pas une
conférence comme les autres. Car, :
− Il tombe à point nommé, et répond à des attentes concordantes,
pour une action durable, volontariste et concrète, au moment où le
rayon d’action des mouvements terroristes opère une translation
alarmante vers des zones de la région jusque-là épargnées.
− Il exprime une conscience générale de la nécessité d’agir
rapidement et autrement.
− Il sonne une “re-mobilisation” à la mesure du caractère
extraordinaire du défi, et marque – j’en suis persuadé – une inflexion
dans le traitement de la problématique terroriste dans notre région
Mais, si nous nous rassemblons autour de la lutte contre le terrorisme
dans la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, nous nous gardons de
réduire notre région à cette menace terroriste, qui n’en est ni typique ni
consubstantielle.

Elle en est, simplement et tragiquement, la victime – comme d’autres

régions, mais malheureusement plus que les autres régions :
− 393 attaques terroristes en Afrique de l’Ouest en 2019, comparé à
109 en Afrique de l’Est et 74 en Afrique Centrale.
− La région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest – notre région – est une
zone de potentiels et d’opportunités réels.
− Et c’est précisément pour cela qu’elle est une cible de choix pour
les mouvements terroristes.

De fait, le constat premier que nous faisons à l’endroit de cette région,

est qu’elle est :
− riche de son capital humain : une population dense et jeune, à 65%
âgée de moins de 25 ans.
− riche de son capital naturel : la liste de ses ressources est longue
(uranium, Or ; cuivre ; diamant ; de gaz naturel, pétrole …).
− riche de son capital immatériel : une histoire millénaire, une culture
d’ouverture et une matrice de diversité : ethnique, culturelle,
religieuse …
− et riche de sa position géostratégique centrale, au confluent des
quatre coins de l’Afrique.

Paradoxalement, cette centralité et richesse s’expriment, encore trop
souvent, moins en opportunités qu’en défis – qui font d’ailleurs le lit du
terrorisme :
− La jeunesse de la population, se pose en duel avec un taux de
chômage récalcitrant.
− La diversité ethno-culturelle, se traduit en clivages
communautaires, parfois violents.
− Les ressources naturelles peinent à réduire le fossé des inégalités.
− La centralité géographique catalyse, plus que jamais, une mobilité
non maîtrisée et non ordonnée (migration illégale, trafics … etc).
C’est pour cela que, bien souvent, la région du Sahel et de l’Afrique de
l’Ouest – bastion historique d’un Islam d’ouverture et de modération –
est, aujourd’hui, dépeinte en espace de repli et d’instabilité structurelle,
où florissent les trafics et où prolifèrent les groupes terroristes.
J’en suis persuadé : cela ne reflète pas la nature de notre région, même
si çà traduit parfois, malheureusement, un statu quo récent. C’est une
poussée rageuse de violence :

− faut-il rappeler que la région est passée de 1 mouvement terroriste
au début des années 2000 (AQMI), à une douzaine actuellement ;
− faut-il souligner que Boko Haram, seul, a réalisé plus de 3.400
attaques depuis le début de la décennie, faisant 36.000 morts ;
− faut-il souligner de 2922 morts recensés à 912 attentats en 2018, on
est passé à 4492 morts dans les 5 premiers mois seulement de 2019.
Ce décompte macabre n’est pas un exercice de style ; c’est le diagnostic
placide de la réalité glaçante des dynamiques terroristes. Il doit nous
interpeller sur sa progression alarmante, mais aussi sur ses causes
profondes – qu’elle soient politiques, économiques, sociales ou, on doit le

reconnaître aussi, environnementales. L’assèchement du Lac Tchad n’a-t-
il pas fait le lit de groupes tels que Boko Haram ? Le changement

climatique n’est-il pas un générateur de conflits et un excipient de
violences ?

* * *
Excellences, Mesdames et Messieurs,

Nous ne sommes pas réunis pour nous complaire dans la désolation, pas
plus que pour nous bercer d’autosatisfaction. Les efforts que nous
déployons pour cette région qui nous est chère, sont substantiels. Mais,
les réalisations, bien que réelles, restent parcellaires.

La recette miracle contre le terrorisme reste à trouver. Mais, les bonnes
pratiques existent déjà. Nous en avons tous consolidé quelques-unes.
Celles du Maroc sont éprouvées par une expérience nationale réussie, et
portées par une adhésion large à l’intérieur et à l’extérieur du Continent
africain.

Ce n’est pas pour autant que le Royaume s’érige en modèle ou, encore
moins,se pose en donneur de leçons. Comme vous, le Maroc a été touché
dans sa chair par le terrorisme. Comme vous, il lutte contre ce fléau sans

relâche. Et comme vous, il est animé par une véritable démarche de
coopération et un authentique esprit de partage.

L’approche marocaine repose sur une Vision tracée par Sa Majesté le Roi
Mohammed VI, dès l’entame de Son Règne : coopérative et humaine.
− Coopérative, car le Maroc a été pionnier dans la détection de la
menace terroriste dans la région du Sahel et du Sahara, et pionnier
dans son appel à « une riposte collective aux organisations
terroristes, qui trouvent un allié dans les bandes séparatistes et les
hordes pratiquant la traite des humains et le trafic d’armes et de
narcotiques, en raison de l’imbrication de leurs intérêts respectifs »
(Discours du Trône de 2014).
− Humaine, car articulée autour d’un triptyque indissociable :
sécurité, développement humain et formation.

En effet, la dimension sécuritaire, est nécessaire, bien qu’insuffisante à
elle seule. L’expérience marocaine en matière renseignement et de
contre-terrorisme, est reconnue et appréciée à l’échelle régionale et
internationale. Le Royaume n’a jamais hésité à la partager, avec les pays
alliés, frères et amis. Le Maroc apportera son soutien à la mise en place
du Collège de Défense du G5 Sahel à Nouakchott. De même 203 places de
formation sont apportées chaque année aux pays de la région dans les
établissements militaires marocains. Des officiers des Forces Armées
Royales ont également été mis à la disposition de l’Ecole de Maintien de
la Paix de « Alioune Blondin Beye » de Bamako pour dispenser des
modules de courte durée.

Le développement humain, est la clé de la durabilité de l’action contre
le terrorisme. Assécher le terreau du terrorisme, commence par assécher
les affluents qui irriguent : précarité, chômage, déficit éducatif … Créer de
la richesse, c’est appauvrir le terrorisme et le priver de ses arguments les
plus accrocheurs. C’est aussi pour cela que le Maroc a été, en interne
comme en Afrique de l’Ouest, constant dans son choix de privilégier
l’investissement dans le développement socio-économique et humain, à
travers des grands projets structurants à impact direct sur les populations.

La dimension formation est tout aussi fondamentale. Car, promouvoir un
Islam authentique, tolérant et du juste milieu, c’est immuniser les esprits
et les cœurs, à l’échelle d’une vie. C’est cela le gage du Maroc, à travers
l’Institut Mohammed VI de formation des Imams, Mourchidines et
Mourchidates. Actuellement, plus de 93% des étudiants étrangers (937
sur 1002), inscrits aux cycles de formation de l’Institut au titre de l’année
2018-2019, sur sont issus des pays de la CEDEAO et du Tchad.
Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Lorsque nous regardons autour de nous, nous voyons des success story
éclatantes dans certains pays de la région, à telle enseigne qu’il n’est nul
besoin de les citer. Mais, non seulement ces réussites nationales ne
déteignent pas suffisamment sur la sécurité globale de la région, mais
elles s’en trouvent menacées dans leur durabilité.

C’est à se demander si l’approche actuelle de prise en charge des défis
sécuritaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest, ne touche pas ses limites.
− Une remise en cause salutaire et une réflexion profonde sont
nécessaires.
− Les approches partielles et les démarches sélectives ont prouvé leur
inefficacité.
− Un “shift” – une rupture – dans le traitement de la problématique de
la lutte contre le terrorisme dans la région, s’impose !

. Car, une menace opportuniste et indifférente aux frontières nationales,
ne peut être appréhendée par des mécanismes institutionnels figés,
aussi sophistiqués soient-ils :
− Pour être efficace, l’action contre le terrorisme doit être flexible,
tournée vers l’objectif et libérée des pesanteurs.
− Elle doit être opérationnelle et pragmatique : c’est la nature de la
menace qui identifie les alliés et partenaires, et non pas l’inverse.

− Elle doit avoir une pertinence géostratégique et non seulement
géographique, pour opérationnaliser une solidarité agissante par
des coalitions homogènes.

C’est pourquoi le Maroc a toujours été convaincu que la CEDEAO est
l’espace le mieux adapté pour gérer une approche structurée et
mutualisée de la problématique sécuritaire du Sahel. Le Royaume forme
le souhait que ce Sommet extraordinaire soit le début d’une véritable
re-mobilisation au sein et autour de la CEDEAO.

Dans cet esprit, nous appelons à une coalition internationale de lutte
contre le terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Je salue ici
l’initiative franco-allemande de réunir, à l’automne prochain, une
conférence sur le Sahel, visant la fondation d’un partenariat pour la
sécurité et la stabilité régionale, ouverts aux partenaires internationaux.
Solidaire de ses frères dans la région et mobilisé à leur côté – il l’a
toujours été, le Maroc répondra présent à chaque fois que son soutien
est utile, notamment en matière de formation des forces de sécurité,
d’échange de renseignement, de formation des prédicateurs, afin de
préserver les valeurs de tolérance authentique de l’Islam en Afrique.
Il va aussi de la sécurité nationale du Royaume et de la stabilité de sa région d’appartenance.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite