Montebourg met la « démondialisation » au coeur du débat

Le bon score d’Arnaud Montebourg à la primaire socialiste a propulsé sur le devant de la scène la "démondialisation", l’idée phare de sa campagne qui plonge ses racines dans une méfiance française bien ancrée vis-à-vis du libre-échange.

Dans "Votez pour la démondialisation!", petit ouvrage vendu à 55.000 exemplaires depuis sa sortie en mai, Arnaud Montebourg détaille son projet: un protectionnisme européen à dimension écologique que le "troisième homme" de la primaire entend imposer dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2012.

"La gauche a mal à la tête. Elle se trouve dans la situation d’un médecin qui a prescrit du Mediator pendant dix ans et qui se rend compte qu’il y a des morts", écrit-il dans son livre. "Notre Mediator, c’est le libre-échange".

Qualifiant la mondialisation d’"escroquerie mondiale", qui a, selon lui, "fabriqué des chômeurs au Nord et augmenté le nombre de quasi-esclaves au Sud", Arnaud Montebourg prône un protectionnisme "nouvelle vague (…) créatif, moderne, dépoussiéré et flambant neuf".

Le secrétaire général de l’UMP Jean-François Copé y voit une "dinguerie" et la notion est considérée avec curiosité dans certains pays de l’Union européenne, Allemagne et Royaume-Uni en tête, qui ne comprennent pas ce débat très français.

Mais pour Arnaud Montebourg, il s’agit d’un projet "modéré", par opposition à un système "extrémiste et inhumain" qu’il accuse de générer délocalisations, destructions d’emplois, diminution des salaires et déclassement des classes moyennes.

La mondialisation est selon lui un choix politique qu’il convient de défaire. Impossible, rétorque Jean-François Copé. "C’est le parfait résumé du grand malentendu que le PS est en train de construire avec les Français", déclarait-il dimanche.

Le député de Saône-et-Loire propose, entre autres, d’intégrer des conditions non-marchandes dans les traités de libre-échange et d’instaurer une taxe carbone extérieure aux frontières de l’Europe, des propositions qui ne sont d’ailleurs pas éloignées de celles faites par Nicolas Sarkozy.

UN TROPISME FRANCAIS

Il souligne que ce processus de démondialisation européenne ne pourra se faire qu’avec un accord franco-allemand, ce qui est loin d’être acquis dans une Europe libre-échangiste.

"Pour l’Allemagne, seul le marché mondial permet de mesurer la compétitivité mais certains politiques français vivent dans un autre siècle", dit un diplomate allemand.

Ce discours de rupture, très marqué à gauche, a séduit 17,2% des électeurs à la primaire socialiste dimanche, selon des résultats provisoires, et créé la surprise en plaçant ce jeune avocat en position d’arbitre de la primaire.

Pour Stéphane Rozès, directeur de la société de conseil Cap , la popularité de ce thème n’est pas une surprise.

"Les Français sont au plan européen les plus anti-libéraux, les plus critiques à l’égard du marché et de la finance", a-t-il dit à Reuters. "Il y a très certainement un tropisme français qui va bien au-delà du courant d’Arnaud Montebourg".

Selon une étude menée en mai par l’Ifop, 84 % des 1012 personnes interrogées estiment qu’en matière économique, l’ouverture des frontières de la France et de l’Europe a des conséquences négatives sur les emplois en France.

UNE THEMATIQUE AU COEUR DE LA CAMPAGNE

Le discours d’Arnaud Montebourg aurait par ailleurs profité d’un terrain politique propice, estime Jérôme Sainte-Marie, directeur général adjoint de l’institut CSA.

"Le succès d’Arnaud Montebourg tient à des éléments conjoncturels: les affaires et la crise financière, (mais) ça tient aussi à quelque chose de plus important, c’est que 70% des sympathisants socialistes (…) avaient voté non au référendum sur l’Europe en 2005", a-t-il déclaré à Reuters TV.

"En plus, il y a actuellement un vrai vide à gauche du parti socialiste. (…) Parmi les 17% d’Arnaud Montebourg il y a aussi des futurs électeurs de Jean-Luc Mélenchon voire de l’extrême gauche", a-t-il ajouté.

Pour Eddy Fougier, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, la thématique de la mondialisation "sera au coeur" de la campagne présidentielle.

Arnaud Montebourg a fait savoir mardi qu’il réservait pour l’instant son choix entre François Hollande et Martine Aubry pour le second tour de la primaire socialiste, tout en assurant qu’il ferait "certainement un choix".

Ce thème a déjà été repris par des formations politiques souhaitant récupérer les voix du flamboyant avocat de 48 ans.

Dans un communiqué, Nicolas Dupont-Aignan, président de "Debout la République", a ainsi appellé les électeurs d’Arnaud Montebourg à soutenir sa candidature, en tant que "seul candidat à défendre en 2012 la démondialisation économique".

Quant à la présidente du Front national (FN) Marine Le Pen, elle les a indirectement invité à la rejoindre, en déclarant sur France 2 que "les hommes et les femmes de gauche qui rejettent les délocalisations, l’ultralibéralisme, le libre-échange brutal (…) (étaient) orphelins", après l’arrivée en tête de la primaire de François Hollande et de Martine Aubry.

Reste que si l’espace idéologique des thématiques avancées par Arnaud Montebourg est "très important" en France, son espace politique est, lui, "restreint", estime Stéphane Rozès.

"La personne d’Arnaud Montebourg pourrait être présente dans un gouvernement de gauche (…), mais sans doute plus au travers des idées de renouvellement et de réforme des institutions que sur la question économique de la démondialisation", conclut-il.

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