Maroc: Saïd Chraïbi rend l’âme, le luth pleure un virtuose

A nouveau, la scène artistique marocaine est en grand émoi. La Faucheuse a encore frappé. Saïd Chraïbi, le virtuose du luth, n’est plus. Le maître du Oud a tiré sa révérence, jeudi matin à Casablanca, à l’âge de 65 ans après un long combat contre la maladie.

On le savait souffrant depuis son admission, mi-février, dans une clinique de Marrakech pour des problèmes d’asthme. La Fondation Saïd Charïbi pour le patrimoine marocain andalou, tout comme les nombreux fans, amis et connaissances du défunt, n’ont pas tari de prières lui souhaitant prompt rétablissement. L’imparable était plus prompt.

La triste nouvelle, telle une traînée de poudre, a très vite fait le tour des rédactions, enflammant au passage les sites électroniques et les réseaux sociaux qui, présentant ses condoléances, qui livrant des témoignages poignants, qui postant des extraits des innombrables partitions, écrites ou composées par le défunt.

Ainsi en est-il de Fouzia Benyoub Louadie, SG de la Fondation Saïd Chraïbi qui dit "pleurer un grand artiste et musicien" avec qui elle a partagé "l’amour de l’art, l’amitié familiale, des rêves et des projets".

"La Magie des cordes était son ultime projet artistique, porté par la Fondation, qui devait être lancé le 12 mars 2016 à Eden Andalou à Marrakech. Le destin a dit son dernier mot", dira-t-elle résignée et impuissante devant l’arrêt du Destin.

L’artiste Driss Maloumi, un autre virtuose du luth, déplore avec un lyrisme poignant la disparition d’un maître exceptionnel. "Mon luth est triste aujourd’hui. Comment peut-on continuer à chercher l’excellence en l’absence d’un grand de la trempe de Saïd Chraïbi. Nous aurons besoin de douleurs atroces pour réaliser ton pénible départ", écrit-il sur sa page Facebook.

Partout la même amertume, le même chagrin, à la disparition de celui qu’on surnommât "Le Prince du Luth", son instrument-fétiche qu’il a tant pincé, gratté, cajolé, bichonné au plaisir d’en pousser la technique du jeu et la maîtrise des cordes aux derniers retranchements.

Né le 2 février 1951 à Marrakech dans une famille de mélomanes originaires de Fès, Saïd Chraïbi a succombé aux mélodies tantôt enjouées tant mélancolique du Oud à l’âge de 13 ans pour entamer, depuis 1979, un parcours d’autodidacte, émaillé de recherches et de lectures, d’expériences et de rencontres qui l’ont emmené vers des territoires musicaux jamais explorés.

Le feu au ventre, comme n’importe quel artiste-né, il a très tôt développé cette mystérieuse "oreille" qu’il a savamment aiguisée en prenant pour modèles des mâallems, des montres du métier, comme Ahmed Al Bidaoui, Farid Al Atrache, Mohamed Abdelwahhab, Riad Sanbati…

Au bout d’autant d’ardeur et de patience, tant de rigueur et de dextérité, il allait attendre 1986 pour voir son étoile scintiller au firmament, avec le célèbre prix du Plectre d’Or à Bagdad, devant de sérieux prétendants, comme Nasser Shamma.

Puis, les distinctions se poursuivent et s’enchainent avec le prix du Festival de la musique Gharnatie à Oujda (1992), le prix du Mérite de l’Opéra du Caire (1994), le prix de chanson arabe (1998), le titre du meilleur luthiste en Suède et de la meilleure musique de film pour Yacout (2000), le Zeryab des virtuoses parrainé par l’Unesco (2002), le prix de la meilleure composition de la chanson marocaine (2005), le premier prix Al Farabi lors de la journée internationale de la musique (2006).

Et il y a de quoi. L’homme s’est foncièrement investi dans cette quête de l’excellence qui l’a amené à sonder les subtilités des maqams arabes, turcs et perses, livrant au passage une production prolifique de plus de 500 compositions où se côtoient taqassims, partitions pour solistes, symphonies, philharmonie. Résultat: Une constellation d’artistes et pas des moindres ont été servis, de Naïma Samih, Abdelhadi Belkhyate et Samira Bensaïd à Fadwa Al Malki et Karima Skalli, en passant par Soumaya Qaysar, Leila Ghofrane et Latifa Raafat.

De ces multiples pérégrinations, ses fans et connaissances n’oublieront pas de sitôt ce visage de mystique serti d’une barbe blanche bien taillée, au sourire attachant et au regard angélique. Il laisse à la postérité deux filles et un garçon et une riche carrière de virtuose. Qu’il repose en paix.

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