Maroc : Hamid Chabat, le controversé patron de l’Istiqlal « joue avec le feu »

La classe politique marocaine était presque unanime lundi pour signifier à Hamid Chabat, secrétaire général de l’Istiqlal que sa décision de quitter la coalition gouvernementale ,dont il est l’un des piliers, n’est pas « seulement une absurdité » mais une « erreur politique fatale dont le parti ne se relèvera pas de sitôt » .

Maroc : Hamid Chabat, le controversé patron de l’Istiqlal
Cette décision n’a pas été une grande surprise car l’homme propulsé à la tête de ce parti nationaliste grâce à l’appui d’un Conseil national formé de jeunes – pour une partie en « mal d’expérience politique » selon un ancien membre du Comité exécutif- est qualifié de « trublion » par la presse et des hommes politiques de toutes tendances confondues.

« La décision est absurde et grave car elle n’a pas pris en compte les intérêts du pays qui a de nombreux défis à relever notamment dans un contexte régional », a déclaré à Atlasinfo un responsable d’un grand parti de la majorité gouvernementale sous couvert de l’anonymat.

Hamid Chabat avait multiplié les attaques quotidiennes contre le parti islamiste Justice et Développement (PJD) et contre son secrétaire général Abdelillah Benkirane, chef du gouvernement. « Nous prenons acte de la décision de l’Istiqlal et les partis de la majorité devront dans quelques jours se concerter pour en tirer les conclusions », a déclaré à Atlasinfo Khalid Naciri, ancien ministre et membre dirigeant du Parti du progrès et du socialisme (PPS, ex communiste).

Le PJD a été le grand vainqueur des élections de 2011 et c’est en cette qualité que les urnes lui avaient ouvert les portes du pouvoir, une première dans l’histoire d’un parti islamiste au Maroc.

« Chabat fait du n’importe quoi. Il veut gouverner, il refuse la 2ème place de l’Istiqlal au gouvernement. Par sa décision, il a plongé le monde politique dans l’indécence, la désunion et l’absurdité », a déclaré un militant, dont la formation est membre de la coalition.

"Heureusement, que le Roi a pris les devants en demandant à Hamid Chabat, et ce conformément à l’article 42 de la Constitution, de maintenir au sein du gouvernement les six ministres istiqlaliens dans le souci de préserver le fonctionnement normal du gouvernement », a-t-il ajouté.

Jamais dans son histoire, l’Istiqlal n’a pris de décision politique importante alors que le Roi se trouve en dehors du Maroc. Contacté par Atlasinfo, Mohamed Wafa, membre du Comité exécutif de l’Istiqlal et poids lourd du gouvernement avec son portefeuille de l’Education nationale, a indiqué qu’il ne réagira pas avant le retour « de Sa Majesté le Roi de l’étranger », une formulation qui en dit long sur son mécontentement après cette décision du retrait.

Selon les observateurs, les « fissures au sein de l’Istiqlal lui-même sont devenues profondes". Un courant de protestataires ayant déjà vu le jour au lendemain du dernier congrès qui a placé Hamid Chabat en tête du parti face au candidat malheureux Abdelwahed el Fassi, fils du fondateur historique de ce parti.Au sein des rangs de l’Istiqlal des voix commencent à s’élever fortement pour dénoncer cette « dérive qui pourrait coûter très chère au parti, une possible division en son sein n’est pas à écarter dans les prochaines semaines», selon les analystes.

« Je suis un connaisseur et militant du parti. La décision du Conseil national est souveraine mais en tant que parti attaché au respect des valeurs, jamais l’Istiqlal, et ce depuis sa création, n’a pu prendre une décision aussi sensible et cruciale pendant l’absence du Souverain", a affirmé à Atlasinfo Mohamed Zidouh, membre du Conseil national de l’Istiqlal.

Selon un autre militant fidèle à la ligne de Abdelwahed El Fassi, la décision du retrait du gouvernement constitue une « ambiguïté de taille. D’un côté Chabat demande le retrait et d’un autre il appelle à l’arbitrage du Roi. C’est de la confusion politique, ce n’est pas sérieux du tout », selon cette source.

Contacté par Atlasinfo, Adil Benhamza membre du Comité exécutif et un des chefs de file de ceux qui ont appelé au retrait affirme lundi que son « parti persiste et signe ». « Notre vision de retrait est claire, nous avons assumé notre responsabilité dans le cadre des prérogatives du Conseil et de la démocratie interne. C’est à l’autre parti (le PJD) de revoir ses positions ».

Mais en réalité que reproche spécifiquement l’Istiqlal à M. Benkirane?, s’interrogent des observateurs. "Pas grand-chose qui mérite de plonger le pays dans cette situation". Ce parti sait "pertinemment que pour sortir de la crise économique il faut une forte solidarité agissante, pas une désunion du gouvernement», selon ces observateurs.

Le conseil national reproche aussi à M. Benkirane d’avoir « omis sciemment de répondre à ses deux mémorandums dont l’un contenait des propositions pour sortir de la crise ». Il l’accuse également d’agir lentement notamment quand il s’agit de légiférer. Les lois sont prêtes et déposées sur le bureau du Secrétariat général du gouvernement . Donc une lenteur dont il n’est pas le seul responsable", selon les analystes.

Chez les islamistes du PJD c’est la sérénité qui l’emportait lundi après la sortie tonitruante de l’Istiqlal. « La crise, on savait qu’elle allait venir de Chabat. Nous nous sommes préparés à l’avance et nous sommes prêts à aller dès demain aux urnes pour des élections législatives anticipées », a martelé à Atlasinfo un ministre péjidiste de gros calibre. « Cet homme n’est pas prêt de se taire. Il continuera de +provoquer uniquement pour la provoc+. Alors il vaut mieux, peut-être, aller dès maintenant aux élections », a-t-il dit.

Le scénario des élections anticipées dans l’état actuel des choses est difficile à mettre en œuvre, le pays et les partis n’étant pas prêts à aller aux urnes. Par ailleurs, il faudrait environ cinq milliards de dirhams à l’Etat pour organiser ces élections. "Selon des sondages, le PJD remporterait haut la main et avec une grande avance les élections », a estimé Luxe Radio lundi, une station qui a vivement critiqué Hamid Chabat.

L’une des probabilités possibles pour sortir de cette crise est celle d’un remaniement ministériel avec l’entrée au gouvernement de quelques nouveaux visages. "Pourquoi pas deux ou trois alliés de M. Chabat afin que ce dernier et ses alliés arrêtent de gesticuler et de s’agiter", estiment des analystes. Un scénario très possible à la veille d’une réunion des partis formant la coalition gouvernementale.

Le retour du Roi Mohammed VI au pays est prévu jeudi, selon des sources concordantes.

Ces derniers jours, la presse s’est amusée à publier quelque propos fracassants de Hamid Chabat. Florilèges: « un ministre du gouvernement s’est rendu au parlement alors qu’il puait l’alcool". "Tel ministre est un menteur (allusion à celui de la Santé)". "La moitié des ministres participent à la réunion du gouvernement en sentant l’alcool". "Le ministre de l’Intérieur manœuvre contre l’Istiqlal en lui retranchant des voix électorales". "Il y a une partie (allusion au ministre de l’Habitat) qui intente contre l’intégrité territoriale". "Dans le gouvernement, il y a des fraudeurs qui encouragent la dépravation". "Il y des nuls qui ont échoué».

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