M. Moussaoui sur le rapport de l’institut Montaigne: pas de véritables propositions concrètes sur l’organisation de l’islam de France

Instauration d’une taxe sur le halal, tracfin islamique et renforcement de l’apprentissage de l’arabe à l’école : un nouveau rapport de l’Institut Montaigne évoque des propositions pour réguler l’islam en France à l’heure où les annonces de l’exécutif sur ce sujet ne cessent d’être repoussées. Atlasinfo a rencontré le président de l’Union des Mosquées de Français, ancien président du Conseil français du culte musulman, M. Mohammed Moussaoui. Il estime que le rapport n’a pas fourni de pistes concrètes pour l’organisation de l’islam de France.

Propos recueillis par Hasna Daoudi

Le rapport l’institut Montaigne, think tank libéral, intitulé La fabrique de l’islamisme vient d’être publié et doit être remis au président Emmanuel Macron pour nourrir sa réflexion sur une réorganisation de l’islam de France. Quelle analyse faites-vous de ce rapport ?

Mohammed Moussaoui: Le rapport est presque entièrement consacré à « l’Islamisme » présenté comme une idéologie politique contemporaine qui, s’appuyant sur une croyance religieuse, vise à promouvoir « une interprétation du monde, une vision de l’organisation de la société, y compris le monde profane, et un rôle donné à la religion dans l’exercice. » Le rapport tente de décrire l’idéologie, sa généalogie, les dynamiques qui lui ont donné naissance ainsi que les modes et vecteurs de sa diffusion.
Il s’agit essentiellement d’un travail de synthèse d’ouvrages académiques et de rapports scientifiques (environ 200) plus ou moins connus sur l’islam politique et le salafisme. Le travail d’analyse des 122000 documents de « Saudi Leaks », les 275 fatwas wahhabites ainsi que les données collectées par Twitter et Facebook sur l’origine et la fréquence de contenus produits par les tenants de cette idéologie, présente une certaine valeur ajoutée en matière d’information. En fin, la représentativité de l’échantillon d’acteurs institutionnels et associatifs auditionnés pourrait être, à juste titre, critiquée.
C’est dire que le caractère descriptif d’une idéologie largement étudiée et analysée, et l’absence de propositions concrètes pour lutter contre sa diffusion rend l’intérêt de ce rapport tout relatif. En effet, les médias ont eu du mal à lister plus de trois propositions : Création d’une association en charge du financement du culte musulman (AMIF) indépendante du CFCM qui collecterait des redevances sur le halal et le pèlerinage, relancer l’apprentissage de l’arabe dans l’enseignement public et création d’un « tracfin islamique ».
Enfin je continue à croire, malgré la notoriété de l’usage médiatique, qu’assigner au mot « islamisme » un rôle négatif, contrairement au « Judaïsme » et au « christianisme », est préjudiciable à l’islam et au combat mené contre les extrémistes se réclamant de l’islam.

Ce rapport insiste sur une forte progression chez les musulmans de France de l’idéologie radicale. Etes-vous d’accord avec ce constat ?

Le rapport défend la thèse d’une rapide perte d’influence des frères musulmans au profit des salafistes (p. 438) : « les associations liées à l’UOIF ne parviennent plus ni à mobiliser, ni à répondre aux problèmes des nouvelles générations musulmanes, et parce que le flambeau de l’identité musulmane est progressivement repris par le salafisme ». Il présente la progression du salafisme dans ces termes (p.378) « En France, le nombre d’adeptes (du salafisme) serait passé de quelques centaines dans les années 1990 à 5 000 sympathisants en 2004, à 12 000 en 2011, puis à 15 000 ou 20 000 quatre ans plus tard. Encore faut-il considérer ces chiffres avec précaution : il est difficile de définir un adepte du salafisme, au-delà de ceux qui portent « l’uniforme » (djellaba et basket). Ce sont de plus des chiffres officiels, nécessairement imparfaits » !
Oui ! Nous pouvons constater que certaines pratiques ostensibles progressent chez une frange de la jeunesse française. Loin de nous de sous-estimer ce phénomène puisque, dois-je le rappeler, l’Union des Mosquées de France (UMF) a lancé ses états généraux sur le radicalisme en mai 2014 bien avant les attentats de 2015, et a fait une série de propositions concrètes pour lutter contre ce fléau, mais nous sommes convaincus que le salafisme restera marginal et n’aura pas d’avenir en France.

Le rapport préconise l’apprentissage de l’arabe pour avoir un accès direct au texte et donc se passer des intermédiaires, comme les islamistes. Qu’en pensez-vous ?

La proposition figurait déjà dans le rapport de la commission Stasi de 2003. Elle a été reprise maintes fois sans malheureusement prospérer. Le ministre de l’éducation nationale a accueilli cette proposition, à juste titre, avec bienveillance en la plaçant dans une vision globale sur l’enseignement des langues vivantes. Enseigner la langue par des professionnels dans un cadre académique et neutre pourrait toucher avec plus d’efficacité un public plus large.

La création d’une association cultuelle pour permettre le financement du culte musulman est-elle capable de régler le problème ?

Permettre à l’islam de France de disposer de moyens de financement à la hauteur des défis qu’il doit relever est une nécessité évidente. Créer une association n’est pas en soi difficile. Par contre, la rendre gouvernable, opérationnelle et crédible aux yeux des fidèles et des donateurs, est une autre chose. Il ne faut pas oublier que la fondation des œuvres de l’islam (FOI) a été créée 2005 avec les mêmes intentions et les mêmes objectifs et qu’en 2016 elle n’était plus. Et entre 2005 et 2016, cette fondation dissoute n’avait reçu aucune nouvelle dotation et n’a financé aucun projet du culte musulman, hormis une subvention de 50 000 euros pour le CFCM en 2007.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) estime la proposition de créer une association cultuelle comme une fausse bonne idée ?

Le projet de création d’une telle association (sous le régime 1905) en charge du financement des projets cultuels a été initié par les pouvoirs publics en 2016. Il devait faire l’objet d’une annonce lors de la troisième instance de dialogue avec l’islam au Ministère de l’intérieur en décembre 2016, au même moment que la création de la « Fondation de l’Islam de France » à caractère culturel. Malheureusement, le CFCM en charge de ce dossier n’avait pas fait de proposition viable et le projet a finalement été ajourné. Deux années plus tard, le 7 juillet 2018 plus précisément, le CFCM a réuni les fédérations musulmanes pour reprendre le projet. A cette occasion, si le principe de sa création a été acté, les discussions ont clairement montré des divergences importantes sur sa composition et sa gouvernance. Les discussions devraient reprendre en septembre 2018 après la clôture des assises départementales sur l’islam de France, organisées par le Ministère de l’intérieur.

Qu’en est-il de la taxe halal comme remède aux maux de l’organisation financière de l’islam de France ?

Il s’agirait plutôt d’une « redevance » halal payable par les organismes de certification halal et collectée par l’association cultuelle en charge de financement que nous évoquions plus haut. Sa mise en place est théoriquement possible, mais nécessite un préalable : l’organisation du marché halal. Cette redevance sera tributaire d’une volonté politique du gouvernement qui décide sur un maillon important de la chaîne, à savoir, l’agrément des sacrificateurs. Il faut également ne pas sous-estimer les difficultés notamment juridiques qui entourent la mise en œuvre d’une telle redevance. En 2010, le CFCM, que je présidais, avait élaboré une "charte halal" qui proposait une solution pour l’organisation du marché halal.

Préconiser un "tracfin islamique", cela veut dite quoi exactement ?

Le mot « TRACFIN » apparait une seule fois dans le rapport. Plus précisément sous le titre « Des financements souterrains impossibles à suivre », nous pourrons lire : (P. 306) : « S’il existe un lien entre les financements venus du Golfe et le développement de l’islam radical en Europe, ce n’est peut-être pas à l’échelle des grandes mosquées qu’il faut le chercher : elles font office de vitrine et sont le plus souvent les tenants d’un islam modéré. Il faut en revanche se pencher sur les mosquées plus petites et les simples salles de prière, plus susceptibles de recevoir des dons, non d’États, mais de riches particuliers du Golfe ou d’organisations caritatives. Ces dons sont nécessairement plus diffus et opaques, du propre avis de l’organisme TRACFIN du ministère de l’Économie et des Finances français ».
L’expression « Tracfin islamique » ne figure nulle part dans le rapport. S’il s’agit de proposition hors du texte de rapport, on ne peut que spéculer sur son sens. S’agit-il d’un sous-service du TRACFIN chargé de financement du culte musulman ? Qu’en serait-il des autres cultes ? Que gagnerait Tracfin en organisant ses services en fonction des cultes ?

Que pourrait apporter ce rapport au chantier qui s’ouvre sur l’organisation et le financement du culte musulman ?

Comme je l’ai indiqué au début de notre échange, le rapport ne traite pas vraiment des questions d’organisation du culte musulman. Pour le financement, hormis la proposition de créer l’association AMIF sans d’ailleurs plus de précisions, il n’y a véritablement pas de propositions concrètes sur l’organisation du culte musulman ni sur la formation des cadres religieux (imams et aumôniers). Pour rappel, l’Union des mosquées de France, que je préside, a fait, dès mars 2018, une trentaine de propositions sur l’organisation et le financement du culte musulman, ainsi que la formation cadres religieux.

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