Lune de miel algérienne entre Islamistes et militaires ?

par Mustapha Tossa

La réalisation d’un cinquième mandat pour le président algérien Abdelaziz Bouteflika ne sera pas un long fleuve tranquille comme l’a été avec une certaine relativité et bienveillance internationale le quatrième. Les aigreurs, le refus d’avancer, les blocages et les difficultés commencent à se manifester. Et il ne s’agit pas aujourd’hui de pétitions signées dans la presse par des personnalités réputées et influentes pour alerter l’opinion des dangers d’un cinquième mandat et des risques de paralysies qu’il risque de consolider dans un pays assoiffé de changements.

Aujourd’hui, il s’agit d’une vraie initiative politique qui émane d’un acteur important de la vie politique algérienne, les Islamistes, à l’encontre d’une institution, les militaires, qui a été l’exclusive source de pouvoir et de légitimité en Algérie depuis des décennies. Pendant tout ce temps, l’armée algérienne s’est imposée comme la fabrique unique de tous les présidents algériens.

L’initiative en question émane d’Abderrazak Mokri, le président du Mouvement de la société pour la paix (MSP-islamiste). Elle se résume en une proposition à destination de l’armée pour intervenir et mettre fin aux préparatifs de ce cinquième mandat et imaginer une transition politique sans Bouteflika. Abderrazak Mokri la résume en ces termes qui ne laissent aucun doute sur son désir d’envoyer le président Bouteflika et ses thuriféraires aux oubliettes de l’histoire : « Nous avons lancé une initiative pour un consensus national devant regrouper pouvoir, opposition, institutions, syndicats et société civile. Aussi l’institution militaire doit-elle avoir un rôle. En fait, tout le monde doit y participer pour sauver l’Algérie en ayant à l’esprit la conjoncture socio-économique difficile que nous traversons ».

Sauver l’Algérie sonnait dans le contexte actuel comme une proposition à faire avorter les tentatives d’installer un cinquième mandat. Il n’en fallait pas plus pour que Mokri découvre le Bashing de la presse algérienne aux ordres à l’encontre de tous ceux qui osent émettre un doute sur la pertinence de prolonger au pouvoir un homme manifestement handicapé par la maladie. L’initiative de A. Mokri a été décrite par ses compétiteurs comme : « une tentative de dresser l’armée contre le président de la République ».

Outre qu’elle cherche ouvertement à mettre hors-jeu l’organisation de pouvoir mise en place par le clan Bouteflika, l’initiative de Mokri a étonné car elle détonne avec l’ambiance d’animosité générale qui régit actuellement les relations entre le mouvement des frères musulmans et les militaires dans les pays voisins. Comme en Égypte où le régime d’Abdelfatah Sissi a carrément criminalisé leur confrérie ou en Libye, au Soudan où encore dans les pays du Golfe où ils sont pourchassés sans relâche.

Et puis le recours à l’armée par un islamiste algérien comme Abderazak Mokri est de nature à heurter la scène politique algérienne sachant que c’est l’armée, les collègues et les supérieurs de l’actuel chef d’état-major Gaïd Salah qui ont avorté le processus électoral des années 90 qui allait donner le pouvoir au Front Islamique du Salut et qui a ouvert la voie à la décennie noire avec son lot d’horreur qui traumatise jusqu’à aujourd’hui la mémoire nationale.

Abderrazak Mokri invite en des termes à peine voilé les militaires algériens à procéder à un coup d’état contre Bouteflika. L’affaire fut jugée si sérieuse que le chef d’état-major Gaïd Salah dont on connaît son peu d’appétence pour les médias et son goût prononcé pour le secret fut obligé d’intervenir et de rectifier certaines approches. Mais il le fait avec de tels gros sabots et une épaisse langue de bois qu’il insinue le contraire de sa pensée. Lorsque par exemple il affirme que l’institution militaire en Algérie « connaît ses limites, voire le cadre de ses missions constitutionnelles, qui ne peut en aucun cas être mêlée aux enchevêtrements des partis et des politiques, ou être immiscée dans des conflits qui ne la concernent ni de près ni de loin », il provoque un grand éclat de rires et d’incrédulité dans un pays où la création des profils présidentiels qui ont géré l’Algérie est un monopole de l’armée algérienne.

Et lorsqu’il affirme avec aplomb que «Il n’est autre tuteur pour l’Armée nationale populaire, digne héritière de l’Armée de libération nationale, que les orientations de son Excellence, le moudjahid, Monsieur le président de la République, chef suprême des forces armées, ministre de la Défense nationale», il plonge ses interlocuteurs dans un cinquième dimension et le pays sous la bourrasque d’une propagande d’Etat à laquelle personne ne croit, augmentant les incertitudes et les inquiétudes des Algériens et de leurs voisins face à la prochaine séquence politique algérienne.

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