Liste noire des Etats-Unis : le risque d’une radicalisation des Frères musulmans

L’inscription des Frères musulmans sur la liste noire des « organisations terroristes », envisagée par les Etats-Unis, fait craindre une radicalisation de ce mouvement islamiste et une accentuation des divisions dans une région où la confrérie est largement représentée.

L’administration du président américain Donald Trump a évoqué cette option la semaine dernière, peu de temps après la visite de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi, dont le pays est le berceau des Frères musulmans.

En 2013, M. Sissi, alors ministre de la Défense, avait été l’artisan du renversement du président Mohamed Morsi, issu des rangs de la confrérie.

La décision américaine risque de pousser les membres des Frères musulmans vers des mouvements ultraradicaux comme Al-Qaïda ou le groupe Etat islamique (EI), avance un de ses membres, Yehia Hamed.

"Ils iront voir les jeunes membres (des Frères musulmans) et leur diront: +vous êtes pacifiques et pourtant toujours qualifiés de terroristes+", déclare à l’AFP cet ancien ministre des investissements sous M. Morsi qui vit aujourd’hui en exil en Turquie.

"Cela finirait par alimenter davantage en extrémistes les groupes comme l’EI", dit aussi à l’AFP Abdelrahman Ayyash, chercheur spécialiste des mouvements islamistes, basé à Istanbul.

Fondée en 1928 par Hassan al-Banna, érudit et instituteur égyptien, les Frères musulmans constitue le plus ancien mouvement de l’islamisme sunnite. Il a officiellement renoncé à la violence dans les années 1970 et possède des ramifications et des soutiens du Maroc à la Turquie.

– Soutien de Ryad –

Soumis tantôt à la répression des autorités tantôt à leur indulgence, en fonction des circonstances politiques, l’organisation est restée un acteur majeur en Egypte jusqu’au scrutin de 2012, qui a permis à M. Morsi de devenir le premier président civil élu démocratiquement dans ce pays dominé par les militaires.

Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Sissi, des centaines de partisans de la confrérie, alors l’opposition la mieux organisée, ont été détenus, exécutés ou contraints à l’exil par un régime régulièrement accusé par les ONG de réprimer les voix dissidentes.

Mais, pour les autorités égyptiennes, les Frères musulmans restent une organisation violente. Elles les accusent d’être à l’origine des actions des mouvements Hasm et Liwaa al-Thawra, qui ont multiplié les attaques contre les forces de sécurité et des magistrats ces dernières années.

Le Caire a été soutenu dans cette démarche par ses deux grands alliés du Golfe, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, deux partenaires privilégiés de Washington.

M. Hamed assure envisager une procédure judiciaire contre une éventuelle décision de l’administration Trump, se disant personnellement affecté.

"C’est une souillure sur ma personne qui m’interdirait de me rendre librement aux Etats-Unis ou dans tout autre pays", regrette-t-il.

Le placement des Frères musulmans sur cette liste permettrait aux Etats-Unis d’imposer des sanctions à toute personne ou organisation ayant des liens avec la confrérie.

– "Longue guerre civile" –

Pour Fawaz Gerges, professeur de sciences politiques à la London School of Economics, la décision de M. Trump pourrait exacerber la "longue guerre civile" dans la région entre islamistes et nationalistes dirigés par l’armée.

"Sur le plan intérieur (en Egypte) et extérieur, les Frères musulmans se sentent assiégés et attaqués", observe-t-il. Il évoque des divisions au sein du mouvement, avec "une sérieuse révolte des membres radicalisés".

Donald "Trump serait très imprudent de perturber les relations des Etats-Unis avec de nombreux pays juste pour apaiser l’Egypte et les Emirats arabes unis", avance par ailleurs le chercheur Abdelrahman Ayyash.

Egalement proches alliés de Washington, la Turquie et le Qatar soutiennent les Frères musulmans, ce qui nuit à leurs relations avec les autres pays du Golfe et l’Egypte.

En juin 2017, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte ont d’ailleurs rompu leurs relations avec Doha, lui imposant un blocus économique et diplomatique, en l’accusant de soutenir des mouvements extrémistes -ce que le Qatar a nié.

Ancien général égyptien et membre du "Conseil national de lutte contre le terrorisme", Khaled Okacha se dit en revanche optimiste, qualifiant le projet de Donald Trump de "geste positif (…) pour se débarrasser de l’idéologie des Frères musulmans une bonne fois pour toutes".

"Ce n’est pas seulement un problème pour nous, c’est un mouvement mondial (…). L’islam politique a échoué et ses dangers ont été exposés", clame-t-il auprès de l’AFP.

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