Libye : ce que l’on sait du Conseil national de transition

Libye : ce que l
Quelques jours après le soulèvement libyen, le Conseil national de transition (CNT) se déclarait être "le seul représentant de la Libye". Depuis, reconnu par la communauté internationale, il devrait exercer le pouvoir lâché par Kadhafi pour mettre en place la démocratie, comme le stipule sa feuille de route. Au centre du nouveau jeu politique libyen, le CNT, dont l’identité de la plupart des membres est tenue secrète, demeure encore très mal connu.

•La naissance du Conseil national de transition

Le Conseil national de transition a annoncé sa création dès le 27 février 2011, soit une dizaine de jours après le début des manifestations en Libye, mais son acte de naissance date véritablement du 5 mars. Ce jour-là, son président, l’ancien ministre de la justice Moustapha Abdeljalil, déclare à l’issue de la première réunion du Conseil, à Benghazi, que le CNT est "le seul représentant de la Libye". Il précise également que le Conseil considère toutes les délégations diplomatiques à l’étranger ralliées à la révolte comme ses "représentants légitimes". Des responsables sont par ailleurs nommés, avec pour tâche de "prendre des contacts avec l’étranger afin d’obtenir une reconnaissance internationale du Conseil". Le Conseil a alors trois missions : rendre légitime le soutien international à l’insurrection libyenne, récupérer les avoirs de Kadhafi afin de permettre à l’autorité d’en bénéficier et montrer que l’après-Kadhafi sera assurée par une autorité capable de prendre la relève.

•L’interlocuteur de la communauté internationale

La France est le premier pays à reconnaître le Conseil de transition national. Le 10 mars, elle affirme que le CNT est le seul "représentant légitime du peuple libyen" et annonce qu’elle enverra prochainement à Benghazi un ambassadeur. Plusieurs autres pays lui emboîtent le pas, comme le Qatar (28 mars), les Maldives (3 avril), l’Italie (4 avril) et le Koweït (13 avril). Au total, trente-quatre pays, dont les Etats-Unis (15 juillet), le Royaume-Uni (27 juillet), l’Allemagne (13 juin) et la Turquie (3 juillet) reconnaissent le CNT.

"On a fait depuis le début un chèque en blanc à cette structure parce qu’il fallait plutôt avoir des interlocuteurs politiques que militaires, dans la mesure où cela aurait été difficile de s’associer à des soldats qui auraient pu être auteurs de crimes", explique Luis Martinez, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient et directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI).

•Un ancien ministre de Kadhafi comme président

Moustapha Abdeljalil, 59 ans, diplômé en droit musulman, s’est fait connaître par son passage houleux au ministère de la justice, à partir de 2007. Alors qu’il était en poste, M. Abdeljalil s’est montré favorable à la libération des détenus de la prison d’Abou Salim, à Tripoli, qui n’est pas sous l’autorité de son ministère, mais des puissants services de renseignement. Heba Morayef, de l’Organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), et qui enquêtait alors sur cette prison où des centaines de Libyens ont trouvé la mort, a le souvenir d’un "honnête homme" qui "était ouvert" aux questions de HRW. M. Abdeljalil "était à peu près le ministre le plus indépendant d’esprit du gouvernement, et l’un de ceux capables de dénoncer les abus et critiquer les services de sécurité", renchérit Malcolm Smart, directeur d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Mais pour Luis Martinez, "ce sera très difficile d’avoir une Libye nouvelle avec lui". "Même s’il se présente comme quelqu’un qui a été un serviteur du régime sans pour autant avoir été un profiteur, son passé au sein du ministère de la justice, son rôle dans la condamnation des infirmières bulgares, son attitude face aux tribunaux révolutionnaires, tout cela est difficilement soutenable aujourd’hui", affirme-t-il. En tant qu’ancien président de la Cour d’appel de Tripoli, Moustapha Abdeljalil est en effet responsable de la confirmation de la condamnation à mort des infirmières bulgares accusées d’avoir contaminé volontairement plusieurs centaines d’enfants par le VIH.

•Une composition secrète et quelques dissensions internes

Le CNT est composé d’une quarantaine de membres désignés en théorie en raison de leur expérience et sur la base de la répartition géographique. L’identité de la plupart d’entre eux est restée secrète en raison des menaces qui auraient pu peser sur eux ou leur famille. "Ce qu’on attend, aujourd’hui qu’il n’y a plus de risques sur les membres du Conseil, c’est qu’il donne les quarante-cinq noms qui composent son comité pour qu’on sache véritablement qui en est membre", demande Luis Martinez. Les membres dont les noms ont été rendus publics sont des juristes, des avocats, des professeurs, mais aussi d’anciens proches de Mouammar Kadhafi.

Des dissensions internes sont toutefois apparues au sein du CNT, notamment après l’assassinat dans des circonstances mystérieuses, le 28 juillet, du général Younès, ancien pilier du régime devenu chef d’état-major de la rébellion. Une semaine plus tard, le président du CNT prenait la décision de limoger son gouvernement. "Sur les six mois de guerre, les dissidences contre le CNT ont quand même été relativement faibles, nuance Luis Martinez. Il y a eu des tentatives d’autonomie, mais on n’a pas vu de dissidence claire exprimée contre le Conseil. L’éclatement de la Libye ces six derniers mois a permis au Conseil d’apparaître comme une structure susceptible d’unifier ceux qui, au nom de différentes causes, combattaient le régime de Kadhafi. Le vrai défi, maintenant, c’est de pouvoir faire valider sur le plan politique son autorité. C’est ça qui va soulever des difficultés."

•Une "déclaration constitutionnelle" comme feuille de route

La rébellion libyenne a défini en mars une feuille de route pour l’après-Kadhafi qui a été mise à jour le 17 août. Celle-ci est présentée comme une "déclaration constitutionnelle" qui prévoit de remettre le pouvoir à une assemblée élue dans un délai de huit mois maximum et l’adoption d’une nouvelle Constitution. Le document décrit en trente-sept articles, et sur une dizaine de pages, les grandes étapes de la période de transition suivant une éventuelle chute du colonel Kadhafi. Le CNT y réaffirme être "la plus haute autorité de l’Etat", être "le seul représentant légitime du peuple libyen", tirer "sa légitimité de la révolution du 17 février" et annonce par ailleurs qu’il quittera la capitale rebelle Benghazi pour venir siéger à Tripoli dès la "déclaration de libération".

"La difficulté pour le CNT va être d’être reconnu par tous ceux qui, à l’intérieur de la Libye, ont combattu et par forcément sous le sigle du Conseil national", estime Luis Martinez, pour qui l’après-Kadhafi ne devrait pas ressembler à l’après-Ben Ali en Tunisie ou à l’après-Moubarak en Egypte. "La grande différence, c’est le prix qu’a payé le CNT pour arriver au résultat d’aujourd’hui et qui l’oblige à avoir plus d’ambition que l’Egypte ou la Tunisie, tout simplement parce que les forces de résistance au changement sont maintenant beaucoup plus faibles en Libye que dans ces deux autres pays, dit-il. On voit bien que l’ancrage en termes de démocratie, d’Etat de droit, de respect des droits de l’homme, est très fort dans le document, ce qui montre l’ambition du texte. Les membres du CNT ont vraiment réfléchi à une ambition d’Etat qui, si demain elle se réalisait, ferait de la Libye une sorte d’avant-garde dans le monde arabe. Mais la difficulté, bien sûr, se trouve toujours dans l’application de ce type de programme."

Romain Brunet, avec AFP

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