Les trois raisons syriennes des Occidentaux

Il y avait plus de deux ans que les Occidentaux le laissaient massacrer et bombarder sa propre population sans autre condamnation que verbale mais là, non, il y aura une réaction internationale, une réaction militaire, car ce n’est pas seulement qu’il eut été scandaleux qu’un recours aussi patent et massif aux armes chimiques n’eût pas de vraies conséquences.

Jusqu’alors, jusqu’aux morts de mercredi dernier, jusqu’à ces centaines de personnes, adultes et enfants, tuées par étouffement aux gaz, Européens et Américains n’avaient pas voulu s’engager dans ce conflit.

Lentement, chichement, ils avaient fourni quelques pétoires à l’insurrection, beaucoup moins de vraies armes que de gilets pare-balles et de bandes Velpeau. Ils lui avaient donné de l’argent et un appui moral mais s’étaient refusés à aller plus loin pour trois raisons.

La première était que la Chine et la Russie disposent d’un droit de veto au Conseil de sécurité, qu’ils l’opposaient à toutes les propositions occidentales et qu’en intervenant sans l’aval du Conseil, les Occidentaux auraient violé la légalité internationale et un peu plus ébranlé encore l’Organisation des Nations unies.

Ni l’Europe ni les Etats-Unis ne le voulaient car, malgré toutes ses faiblesses et son impuissance dans plus d’un conflit, l’ONU demeure le seul cadre de concertation internationale dont les décisions s’imposent, ou devraient le faire, à tous les pays du monde, grands et petits.

Les Occidentaux ne voulaient pas risquer de casser cet indispensable et précieux instrument de droit mais le fait est, aussi, que ce veto sino-russe les arrangeait puisqu’il leur donnait une solide excuse à leur passivité. Grâce à lui, ils pouvaient laisser croire que seuls Moscou et Pékin les empêchaient d’agir contre le boucher de Damas alors que, veto ou pas veto, ils n’avaient aucune envie de le faire.

Barack Obama en tête, les Occidentaux craignaient de s’engager dans la guerre civile syrienne car, face à la puissante aviation de Bachar al-Assad, ce n’eut pas été, comme en Libye, un simple bras de fer militaire à risques limités sinon nuls. L’Europe et les Etats-Unis craignaient d’être entraînés dans une vraie guerre. C’était la deuxième raison de leur non-interventionnisme et la troisième était que lorsqu’on intervient dans un pays, l’on devient responsable de son destin. L’Irak et l’Afghanistan sont là pour le rappeler et, une fois renversé le régime de Damas, il sera bien difficile de savoir comment redéfinir et stabiliser les équilibres entre les communautés composant la mosaïque syrienne.

Les Occidentaux ne le savent pas plus aujourd’hui qu’hier mais ils préfèrent désormais cette incertitude du lendemain et les risques d’une intervention à trois autres dangers, autrement plus inquiétants. A force de ne pas bouger, ils ont redonné aux jihadistes le terrain d’action et la légitimité politique qu’ils avaient perdus partout ailleurs. En Syrie, le jihadiste a repris une force car ses partisans peuvent y dire que les Arabes ne peuvent pas compter sur l’appui des «judéo-croisés», que ceux d’entre eux qui tablent sur les Occidentaux sont des traîtres à l’islam et que la vraie foi est la seule arme. A l’heure du coup d’Etat égyptien, ce discours du fanatisme peut avoir un nouvel impact au-delà même des frontières syriennes car la conversion des Frères musulmans à la démocratie a été un échec dont ils ne sont pas les seuls responsables même s’ils en sont les premiers.

Il fallait redonner une autorité aux grandes démocraties dans tout le Proche-Orient et il ne fallait pas laisser croire à l’Iran qu’Américains et Européens pouvaient tout y accepter, même les gaz de combat, pourvu qu’ils n’aient plus à s’y engager militairement. Si c’est ce message qui avait été envoyé, le nouveau président iranien n’aurait plus eu la moindre chance de faire triompher, à Téhéran, sa volonté de trouver un compromis sur le nucléaire. Ce ne sont pas des représailles contre Assad qu’il aurait fallu envisager mais une guerre contre l’Iran dont les risques sont bien évidemment plus grands.

Et puis il y avait la Russie. Européens et Américains avaient à lui rappeler que, droit de veto ou pas, elle ne pouvait pas tout se permettre, qu’il y a l’ONU à respecter mais aussi de conventions internationales contre les armes chimiques et que Vladimir Poutine ne pouvait pas paralyser le Conseil de sécurité au seul motif que la chute d’un cinquième dictateur arabe pourrait encourager sa propre opposition.

C’est à cause du jihadiste, de l’Iran et de la Russie que les Occidentaux ont finalement haussé le ton ce week-end. Si le régime syrien ne comprend pas, maintenant, qu’il est allé trop loin, s’il ne fait pas, au plus vite, de vraies concessions sur l’organisation d’une transition, il devra faire face à une coalition internationale dont l’objectif sera de les lui imposer, d’enfin l’y contraindre.

PAR BERNARD GUETTA

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