Les trésors Arts déco de Casablanca

Les trésors Arts déco de Casablanca
Au 55 rue Driss Lahrizi se cache un trésor. N’en déplaise au touriste pressé en visite à Casablanca. Ici s’élève l’immeuble La Princière, joyau des années 1920 conçu par l’architecte français Alexandre Cormier. Mieux : le sombre couloir qui s’enfonce dans les entrailles du bâtiment mène, au premier étage, à l’Antic Palais, charmant café resté dans son jus avec ses jolies boiseries et ses miroirs d’époque, mais modernisé depuis avec son Wi-Fi. Une adresse idéale pour siroter un nousnous (moitié café, moitié lait), loin du rythme trépidant de la ville blanche.

Trop souvent réduite à son sens aigu des affaires et à ses embouteillages monstres, la capitale économique du Maroc a en effet vécu l’une des plus fécondes et étonnantes aventures de l’urbanisme moderne. Déjà en proie à une intense activité commerciale, la petite ville portuaire devient durant le Protectorat français, entre 1912 et 1956, le terrain d’expérimentation d’une génération d’architectes issus des Beaux-Arts de Paris.

Dans les logements neufs qui poussent comme des champignons, ascenseur, chauffage central, vide-ordures, parking souterrain, mais aussi salle de bains avec toilettes seront testés en avant-première. Véritable laboratoire à ciel ouvert, Casablanca en plein boom se permet tous les styles et toutes les nouveautés. Et s’enrichit en retour des matériaux locaux et des savoir-faire vernaculaires. Le zellige, carreau de faïence typiquement arabo-andalou, remplacera la céramique et le toit-terrasse enchantera les cubistes.

En buvant son thé à la terrasse du très central café glacier de l’Excelsior, à deux pas de la place des Nations, on peut ainsi admirer l’esthétique néomauresque de cet hôtel construit entre 1914 et 1916 par Hippolyte Delaporte. L’un des premiers à avoir utilisé le béton armé, introduit dès 1913 à Casablanca par les frères Perret.

Loin de toute mise sous cloche, ce patrimoine unique au monde s’inscrit encore dans le quotidien des habitants et surgit à tous les coins de rue, se dévoilant à la faveur d’un dîner au restaurant Rouget de l’Isle, d’une expo à la Villa des arts ou au Musée Slaoui, ou encore d’un saut au consulat français ou à la banque d’Etat du Maroc… Certes, on ne peut plus assister à une messe Arts déco, l’église du Sacré-Coeur ayant été désacralisée après l’indépendance, faute de fidèles. Mais l’oeuvre de Paul Tournon se dresse toujours au coeur du parc de la Ligue arabe, mêlant avec une monumentale audace architecture gothique et dépouillement bétonné.

Quant à la nouvelle médina, ou quartier des Habous, un souk moderne datant des années 1920 et souvent boudé par les visiteurs en mal d’exotisme, elle est pourtant un témoignage architectural unique au Maroc. Fruit, il est vrai, d’une politique coloniale de ségrégation destinée à regrouper les " indigènes "… A goûter sur place, les délices de la pâtisserie Bennis.

L’impressionnante mosquée Hassan II, avec son minaret culminant à 210 m, a un lien indirect avec cet héritage : inauguré en 1993 et bâti en partie sur la mer, cet ouvrage titanesque a été érigé sur le site de l’ancienne piscine municipale, creusée dans les années 1930. Avec ses 434 m de long et 75 m de large, c’était à l’époque la plus grande du monde. Au-delà des courbes et des formes avant-gardistes, une toute nouvelle société se dessine. " C’est la ville de l’hédonisme et de la flambe : après le business, on aime aller se détendre, sculpter son corps et se montrer. C’est toujours le cas, d’ailleurs ", sourit Laure Augereau, architecte venue s’installer ici " par amour pour Casa " et coordinatrice de projets au sein de Casamémoire, précieuse association de sauvegarde du patrimoine architectural du XXe siècle au Maroc.

La profusion de cinémas atteste de cet avènement des loisirs : pour une séance dans un décor années 1930, rendez-vous, au centre-ville, au Rialto, qui prend soin de sa pimpante façade Arts déco, ou au plus discret ABC, qui propose une programmation art et essai les lundis et dimanches soir. Le rêve américain connaîtra un nouvel élan dans les années 1950. Port stratégique durant la seconde guerre mondiale, la ville devient une plaque tournante pour trafics en tout genre et escrocs de tous poils. " Comme à Saïgon dans les années 1960, on pouvait tout acheter et tout vendre au marché noir : des devises, des bijoux, des filles et même des vies humaines ", écrit, dans Casablanca. Script and Legend, Howard Koch, scénariste du film Casablanca, évoquant l’atmosphère dans laquelle évoluent Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.

Une fois la paix signée et le calme revenu, la bourgeoisie casablancaise se toque de la villa californienne et cet engouement donne lieu à une compétition effrénée entre architectes, qui s’essaient au brutalisme cher à Le Corbusier. On peut en goûter un exemple en allant prendre son petit déjeuner dans une demeure édifiée par l’architecte Jean-François Zevaco, dite villa Papillon en raison de sa forme, devenue un café-boulangerie. Celle conçue par Wolgang Ewerth, dite villa Camembert, perchée sur la colline d’Anfa et visible depuis la route, est menacée par un projet de construction résidentielle.

Car si les vestiges de ce demi-siècle de créativité débridée vibrent encore, c’est aussi au rythme de la spéculation immobilière. La candidature de Casablanca au Patrimoine mondial de l’Unesco, évoquée par le gouvernement marocain, permettrait de mieux protéger ces biens remarquables, espère Laure Augereau, qui note déjà des signaux positifs. Comme l’inauguration, en décembre 2012, du tramway qui a désengorgé la place des Nations et entraîné la métamorphose du boulevard Mohammed-V, naguère dangereux et assourdissant, aujourd’hui repeint en blanc et rendu aux piétons. S’y promener est redevenu un plaisir, fait valoir cette jeune Casablancaise de coeur, d’autant que ce bouillonnant quartier est aussi un concentré de façades, de passages et de bâtiments Arts déco. Pour en profiter, il suffit simplement de lever les yeux.

Claire Cousin

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