Les migrants pris au piège de l’intérieur

La Cimade souligne qu’une traque renforcée dans les pays africains s’ajoute au durcissement administratif en France et en Europe.

Les migrants pris au piège de l’intérieur
L’exercice du rapport annuel a parfois ses limites, mais à moins de cent jours d’une présidentielle où le thème de l’immigration est mis en avant surtout à droite et à l’extrême droite, les 95 pages de la Cimade, dévoilées hier, permettent de prendre un peu de recul. Et de cibler les faits marquants de la période. Pour l’association, pas de doute : le sujet mérite «une conversion du regard, urgente et nécessaire».

«Désert». Quitter un peu le débat national ne fait pas de mal. Avec ce chiffre, par exemple : depuis 1988, 17 317 personnes sont mortes aux portes de l’Europe. En 2011, les révolutions arabes ont amené leurs lots de migrants fuyant les troubles de leurs pays et venant s’échouer, morts ou vifs, sur les côtes du Sud de l’Europe. Pourtant, rectifie la Cimade, des études ont montré que 69% des migrations subsahariennes sont des migrations Sud-Sud, et 86% des mouvements dans l’Afrique de l’Ouest sont intrarégionaux. Au final, «l’idée que la tendance majoritaire des migrants est de se rendre de l’Afrique vers l’Europe est erronée et projette un prisme déformant sur les politiques migratoires européennes». De fait,l’idée d’un renforcement sécuritaire de ces politiques semble, une fois ces statistiques posées, discutable. Mais c’est la réalité. Sous la pression de l’Europe qui conditionne ses aides, un nombre croissant de pays africains, dont le Maroc, la Mauritanie ou l’Algérie, ont durci leur législation à l’égard des citoyens qui veulent quitter leur territoire. «L’Algérie et le Maroc, fortement incités par l’Europe depuis 2005, n’hésitent pas à refouler les migrants en plein désert, ce qui entraîne des disparitions, des morts et des situations humaines catastrophiques, note l’association qui décrit une Europe qui se cadenasse.»

Retour au durcissement version tricolore. La Cimade pointe «une mainmise de plus en plus nette du ministère de l’Intérieur sur les questions d’asile». Et qui dit ministère de l’Intérieur dit Claude Guéant qui, depuis des jours et des jours, se défend en expliquant qu’il «ne fai[t] qu’appliquer la loi». Formellement l’asile est passé sous la coupe de l’Intérieur depuis novembre 2010. Une première depuis la Seconde Guerre mondiale. L’augmentation du nombre de demandeurs d’asile est antérieure : + 60% depuis 2007 (principaux pays d’origine : Kosovo, Russie, Bangladesh, république démocratique du Congo et Sri Lanka). Parmi les mesures destinées à traiter la demande d’asile comme un risque migratoire, la Cimade relève la régionalisation de l’admission au séjour, c’est-à-dire la désignation d’un ou deux préfets habilités à traiter les demandes. Conséquence : le demandeur peut être obligé de faire des centaines de kilomètres pour présenter son dossier. Les effectifs préfectoraux n’ayant pas été augmentés, l’attente avant une réponse peut durer jusqu’à cinq mois… alors que le délai maximal est en théorie de quinze jours. CQFD. L’asphyxie du dispositif d’accueil est un autre moyen de décourager les candidats.

La logique est, selon l’association, la même concernant les filières d’immigration légale.Là encore, le ministère de l’Intérieur a accru son influence en prenant sous sa tutelle le service des visas qui dépendait du ministère des Affaires étrangères. Dans le même mouvement, la réhabilitation du rôle des préfets a augmenté la complexité des procédures et «leur pouvoir discrétionnaire», s’inquiète la Cimade, comme en témoignent les interminables files d’attente devant les préfectures des grands centres, mais aussi de plus en plus devant celles des villes moyennes.

Arsenal. Verrouillage à l’entrée, mais aussi quand il s’agit d’expulser. Pour la Cimade, la loi du 16 juin 2011 «accroît considérablement le pouvoir de l’administration au détriment de celui du juge». Ainsi ce texte prévoit que le juge des libertés et de la détention n’intervient plus qu’au cinquième jour de la rétention et non plus au deuxième. Et la rétention maximale est passée de trente-deux à quarante-cinq jours. Cet arsenal vise à privilégier une logique d’enfermement sur toute solution alternative. Cette logique a abouti à une forte augmentation des interpellations d’étrangers en situation irrégulière, de 64 000 en 2004 à 96 000 en 2009.

Concernant l’arrière-plan de cet arsenal juridique, l’association estime, sans surprise, que «les plus hautes autorités ont répandu l’idée que l’intégration serait un problème insoluble». Port de burqa, débat sur l’identité nationale, argument de la langue française comme critère d’intégration, polémique sur la «délinquance étrangère»… Autant de débats qui risquent de fleurir à nouveau dans les prochaines semaines.

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