Les manuscrits de la mer Morte: le mystère des origines

L’exhumation, il y a une soixantaine d’années, d’écrits deux fois millénaires à Qumran, en Palestine, a fait fantasmer les uns, délirer les autres et continue de stimuler les recherches et les polémiques. Une récente et éblouissante exposition à Paris en a dévoilé de nombreuses facettes que perpétue le catalogue *.

Les manuscrits de la mer Morte: le mystère des origines
Cela commence comme un conte de fées. Un berger à la poursuite de ses chèvres aurait trouvé, en 1947, au fond d’une grotte des rouleaux couverts de mystérieuses écritures. Après le passage de ces codex dans les mains de différents intermédiaires, des archéologues israéliens en achètent quelques-uns, alors que s’amorce la première guerre de Palestine, en 1948.

Excités par ces trouvailles, les savants de l’École biblique de Jérusalem, présents du côté jordanien, ratissent les grottes avoisinantes et récupèrent d’autres écrits, en particulier un rouleau de cuivre. Au total, plus de 900 manuscrits et des milliers de fragments sont exhumés en une dizaine d’années et dispersés entre diverses institutions. La guerre de 1967 permet à Israël de s’emparer de ceux que conservait le musée archéologique de Palestine, à Jérusalem-Est, tandis que le rouleau de cuivre demeure à Amman.

Que relatent ces vieux documents si disputés ? Il s’agit d’ouvrages d’inspiration religieuse, en hébreu ou en araméen, langue communément pratiquée en Palestine il y a 2 000 ans. Ils sont calligraphiés soit en hébreu carré, alphabet encore utilisé, soit en ancien hébreu, alphabet aujourd’hui quasiment abandonné. On peut les classer en trois groupes : les livres bibliques, reproduisant des parties connues de l’Ancien Testament ; les apocryphes, rédigés sur le modèle des livres bibliques, mais exclus des recensions officielles des orthodoxies ; enfin, les pseudépigraphes, ensemble de textes relatant des événements, des pratiques religieuses ou des conceptions ignorés jusqu’ici. Ces derniers constituent la partie la plus originale de ces découvertes.

L’intérêt des livres bibliques est évident pour les chercheurs. Il permet, en comparaison avec d’autres manuscrits anciens, d’étudier les variantes textuelles et la formation des Bibles que nous connaissons (septante, massorétique ou samaritaine). La meilleure illustration en est le rouleau d’Isaïe (de sept mètres de long) découvert par les bergers.

Comparativement, les apocryphes accordent un développement inattendu à des personnages ou des événements omis ou brièvement évoqués dans la Bible. Ainsi, le Livre des Jubilés définit-il le calendrier des fêtes juives, tandis que le Livre d’Hénoch développe les aventures fantasmagoriques d’un personnage à peine évoqué dans la Bible.

Les manuscrits de la mer Morte: le mystère des origines
Ces œuvres retrouvées à Qumran subsistaient déjà, avec des contenus quasi identiques, aux marges du christianisme (en éthiopien, en arménien, en copte ou en syriaque) et dans des traditions juives hétérodoxes (en particulier dans les manuscrits abandonnés dans un dépôt, qualifié de geniza, ou trésor, de la synagogue Ben Ezra du Vieux Caire). Ces variantes, interdites et ignorées du grand public, étaient connues des exégètes attachés à étudier

les textes sacrés. Leur résurgence au bord de la mer Morte a confirmé leur importance. Elles aident à comprendre la formation des canons orthodoxes et à élucider les soubresauts de l’histoire religieuse.
Mais c’est surtout avec les pseudépigraphes que l’on touche au sensationnel. L’Écrit de Damas, où l’on évoque le Maître de justice tué au pays de Damas par le Prêtre impie, évoque irrésistiblement le personnage et le sort de Jésus. Or ce récit avait déjà fait grand bruit lorsqu’il avait été trouvé la première fois, à la fin du XIXe siècle, dans la geniza. Tandis que le Rouleau de la guerre des fils de la Lumière contre les fils des Ténèbres rappelle l’intransigeance fanatique des zélotes contre Rome.

Quant à la Règle de la communauté, elle fait penser aux prescriptions qui auraient pu régir les premiers chrétiens ou les esséniens (mystérieux précurseurs du christianisme, évoqués par l’historien antique Flavius Josèphe) et laisse croire que certains juifs auraient pratiqué le monachisme. Cependant que le Rouleau de cuivre définit avec précision la localisation de différentes cachettes de trésors, censées dissimuler plusieurs tonnes d’or, enfouies en divers lieux de la Palestine !

Les questions se sont multipliées, les explications aussi, d’autant que les contradictions soulevées avaient fortement remis en cause les enseignements traditionnels, jusqu’alors dominants par la force de l’habitude. On a accusé quelques-uns de dissimuler certains documents, dont le contenu contredisait les a priori de leur foi, et d’en retarder la publication pour cette raison. Les analyses des spécialistes, souvent hypothétiques, ont diffusé et se sont entrechoquées, souvent en fonction d’intérêts cachés. On a affirmé, puis contesté l’existence d’une communauté monacale centrée à Qumran. On a aussi proclamé ou rejeté l’unité doctrinale de la bibliothèque exhumée. Des extrapolations plus ou moins hasardeuses tentent de tirer des conclusions tranchées à partir de fragments lacunaires. Des esprits enflammés se sont vainement acharnés à retrouver les cachettes du trésor.

Simultanément, un recentrage géographique et historique du site réévalue les débats. Des archéologues veulent en reconstituer l’environnement matériel. On ressort le récit d’Eusèbe de Césarée au IIIe siècle et celui du patriarche nestorien Timothée au IXe siècle qui relatent, chacun en son temps, l’exhumation de manuscrits comparables du côté de Jéricho. Et les débats continuent.

Ce passionnant dossier a été remarquablement présenté à la Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand, à Paris. Au cœur de cette exposition, des documents originaux et des fac-similés, pour les pièces les plus délicates, ont été mis en valeur par une lumière douce et des explications simples. Le bouillonnement intense d’idées en confrontations soulevé par les manuscrits de la mer Morte a été rapporté avec honnêteté et sans parti pris. Un excellent catalogue perpétue à merveille ce moment de grande intensité intellectuelle.

*Qumrân, les secrets des manuscrits de la mer Morte, Bibliothèque nationale de France, catalogue sous la direction de Laurent Héricher, Michael Langlois, Estelle Villeneuve, 176 p., 2010, 29 euros.

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