Les jeunes Algériens se libèrent dans les centres commerciaux

Dans une Algérie où les espaces de divertissement sont rares, les centres commerciaux en plein essor sont devenus le terrain de jeu d’une jeunesse en quête de lieux branchés propices aux rencontres en tout genre.

Avec leurs parkings gigantesques, leurs sols brillants, leurs fontaines et leurs bancs, les temples de la consommation ne désemplissent pas à Alger comme dans les grandes villes.

"Ce ne sont pas seulement des lieux de commerce mais aussi de sociabilité", témoigne Tahar Drici, sociologue à l’université d’Alger. "La fin du terrorisme a suscité une envie de détente et de sorties, qui a été rendue possible par ces centres où jeunes hommes et filles se retrouvent pour flirter car ils se savent à l’abri du regard moralisateur de leurs proches", explique-t-il à l’AFP.

De tels lieux de convivialité sont rares dans un pays où les jardins publics sont souvent squattés par les marginaux tandis que 95% des 400 salles de cinémas ont baissé le rideau, comme l’a récemment déploré le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi.

L’immense centre commercial de Bab Ezzouar est l’un des plus prisés. Implanté dans un nouveau quartier d’affaires près de l’aéroport d’Alger, il offre depuis cinq ans cinémas, bowling, cafés, espaces détente, où chacun peut échapper à l’oeil inquisiteur des proches et des voisins qui guettent le comportement des filles.

Dans l’enceinte du bowling, la lumière tamisée et la musique à pleins décibels offrent l’ambiance d’une boîte de nuit. Garçons et filles tombant le voile jouent au billard.

"Je viens pour la drague", confesse sans hésitation Rym, une bachelière moulée dans un jean’s, résidant à Constantine, la grande métropole de l’est algérien.

Meriem, une adolescente de 18 ans, affectionne l’intimité que procurent de tels lieux. "L’avantage, c’est qu’il y a beaucoup de monde. Il est donc peu probable de tomber sur quelqu’un que l’on connaît. Parfois, j’enlève mon voile et je ne le remets qu’en partant. Mais je ne suis pas la seule à le faire".

Malgré des signes d’ouverture, la société algérienne demeure "conservatrice, traditionnelle et hiérarchisée", souligne le sociologue Tahar Drici. Ainsi, on ne croise pas, même dans les rues de la capitale ou dans les transports publics, de couples main dans la main ou enlacés. Un comportement qui était pourtant banal jusqu’au déferlement d’une vague islamiste sur l’Algérie à la fin des années 80.

– Le plus grand d’Afrique –

"Dans les +malls+, les enseignes présentes sont pour la plupart occidentales et proposent un art de vivre et de se vêtir qui rompt avec les valeurs traditionnelles prônées par la société algérienne", précise M. Drici.

Le responsable d’un centre commercial d’une ville de province note qu’"il n’est pas rare de voir des jeunes de tout âge flirter" dans ces centres, "c’est l’endroit parfait pour". "Les jeunes filles disent à leurs parents qu’elles vont faire les boutiques sans que cela ne soit suspect", explique-t-il.

Les jeunes ne sont pas seuls. Des clients de tous les âges fréquentent ces nouveaux pôles de consommation, qui dédient des espaces aménagés aux familles qui peuvent venir partager une pizza tout en regardant leurs enfants se divertir dans une aire de jeu.

Le centre de Bab Ezzouar attire désormais plus de 7,5 millions de personnes par an, "ce qui représente en moyenne annuelle 21.000 clients par jour", jubile Alain Rolland, PDG de l’entreprise qui le détient.

Construit près d’une marina en chantier et de tours d’affaires, le centre Ardis capte, lui, la clientèle grâce notamment à sa terrasse qui donne sur la plage des Sablettes, célébrée par l’écrivain Albert Camus et reconquise cette année après des décennies d’abandon. Beaucoup s’y retrouvent pour admirer le coucher du soleil derrière les collines blanches d’Alger.

Comme dans de nombreux pays émergents, l’engouement pour les centres commerciaux n’est pas prêt de s’essouffler en Algérie. Des investisseurs projettent même d’y ouvrir le plus grand mall d’Afrique, directement inspiré du luxueux Park Mall de Dubaï, et ce, à Baraki, une banlieue où les groupes armés islamistes faisaient régner la terreur dans les années 1990.

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