Les faux cadavres du Sahara (Le soir belge)

En janvier dernier, Casablanca est secouée par une tragédie familiale. Un homme tue cinq de ses proches. Des photos sont prises sur la scène du crime. Un fait divers horrible.
Mais en novembre, coup de théâtre : un des clichés est diffusé sur la chaîne de télévision espagnole Antena3. Non pour illustrer le quintuple meurtre, mais pour rendre compte des événements qui déchirent alors le Sahara occidental. L’affaire Rachidi bascule dans la politique.

Pour rappel, le 8 novembre, un camp de tentes sahraoui installé non loin de Laâyoune a été brutalement démantelé par la police marocaine. Pour ses occupants, il s’agissait de manifester pacifiquement contre les conditions socio-économiques imposées par le Maroc dans l’ancienne colonie espagnole qu’il domine depuis 1975. Pour Rabat, le camp était au contraire noyauté par le Front Polisario, qui lutte en faveur de l’autodétermination du Sahara occidental.

Lors de l’assaut, des morts ont été relevés dans les deux camps. Combien et qui ? Les médias veulent savoir. C’est alors que la chaîne Antena3 diffuse une des photos des meurtres de Casablanca. A Etterbeek, Rachida Rachidi est devant la télévision lorsqu’elle reconnaît ses proches dans un bain de sang. « C’est comme si on les avait tués une seconde fois ». Au Maroc comme en Belgique, les Rachidi sont effondrés.

Manipulation ?

Simple erreur de manipulation d’Antena3 ? Sensationnalisme macabre ? Exploitation politique ? Rachida Rachidi penche pour la dernière hypothèse, accusant la chaîne espagnole d’avoir voulu montrer « combien les policiers marocains sont cruels ». Elle désigne un coupable : « C’est le Polisario qui a fait ça ! ». A l’entendre, les indépendantistes sahraouis auraient donné le cliché à un journaliste espagnol, trop heureux d’avoir enfin un tel document. Les autorités marocaines ont en effet organisé un black-out presque total autour du camp démantelé.

Tout cela reste bien sûr à prouver. En attendant, les Rachidi ont décidé de poursuivre en justice Antena3, au civil et au pénal, en Espagne et probablement aussi en Belgique. Leur avocat Pierre Legros ne désespère pas d’obtenir réparation, arguant du manque de déontologie journalistique d’une part, d’un outrage fait aux morts d’autre part.

Vu de Madrid, cette polémique s’inscrit dans les tensions récurrentes entre le Maroc et les médias espagnols. Le premier accuse régulièrement les seconds d’instrumentaliser l’information. Il y a quelques semaines, les journaux de la péninsule diffusaient un autre cliché représentant deux bébés blessés à la tête. La photo, censée démontrer les violences policières au Sahara occidental, avait été prise en réalité dans la bande de Gaza en 2006… L’agence ibérique d’information EFE, qui avait vendu l’image aux quotidiens, a reconnu depuis « une erreur professionnelle ».

Le ministère marocain de la Communication s’est emparé de l’affaire pour dénoncer les « montages et les manipulations » des médias espagnols.

Au plan politique, les relations bilatérales entre l’Espagne et le Maroc sont au centre des débats à Madrid. Le gouvernement socialiste privilégie le dialogue avec son voisin, un associé important dans la lutte contre le terrorisme et le contrôle de l’immigration. L’opposition conservatrice est beaucoup plus critique, consciente que son électorat demande de la fermeté face à un pays longtemps considéré comme un ennemi historique.

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