Les Arabes, Bouteflika et l’Algérie

par Mustapha Tossa

Depuis le déclenchement de la crise algérienne et les soubresauts du cinquième mandat, Alger est au cœur de l’actualité arabe. Elle en occupe les écrans de télévision et la sève éditoriale de sa presse. L’opinion arabe est scotchée sur les évolutions de la rue algérienne. La décennie noire algérienne, marquée par des violences au quotidien, a fonctionné à la fois un repoussoir et comme un rappel de ce qui peut arriver si les ruptures s’accélèrent et que les manifestations de plus en plus imposantes perdent leur caractère pacifique.
L’ancien premier ministre Ahmed Ouyahia ainsi que l’actuel patron de l’armée Ahmed Gaid Salah dans ses premières déclarations ont beaucoup pesé dans l’installation dans les esprits des possibles cauchemars à venir. L’Algérie qui refuse le cinquième mandat peut facilement glisser vers la tragédie syrienne ou le chaos libyen.

Les Algériens qui protestent contre Bouteflika sont-ils en train de lancer la seconde vague de ce qu’il était convenu le printemps arabe et dont les victimes sacrificielles du dégagisme ambiant était les présidents tunisien Ben Ali, libyen Mouammar Kadhafi ou égyptien Hosni Moubarak ?

Pour certains cette dynamique protestataire procède de la même logique. Les Algériens sont sortis dans la rue pour dire non à Bouteflika et répudier son système basé sur la corruption et le népotisme. La plus part des pays arabes sont restés mutiques dans leurs commentaires officiels de la situation algérienne. Par prudence et par crainte d’être accusé d’ingérence, les différentes capitales arabes suivent avec angoisse le lent cheminement protestataire algérien. Pour distinguer le positionnement des uns et des autres, il est indispensable de décorder la couverture de leurs médias de cette crise algérienne.

Pour les médias « mainstream » d’Égypte et d’Arabie saoudite, la grande crainte est de revoir se jouer le même lugubre scénario issu du printemps arabe. Une colère populaire légitime exploitée par des forces obscures islamistes, tapies dans l’ombre, prêtes à cueillir le fruit si demain le chaos sécuritaire s’installe. Cette hypothèse est lourdement dénoncée et combattue non par soutien à Abdelaziz Bouteflika mais par crainte de voir renaître de ses cendres la confrérie des frères musulmans criminalisée en Égypte, lourdement pourchassée en Arabie saoudite qui l’accuse d’être à la fois une couveuse et un réceptacle pour le parole djihadiste et la posture terroriste.

Dans l’autre versant, la parole dénonciatrice du cinquième mandat est spectaculairement mis en valeur comme reflétant une soif de démocratie, une allergie au régime rentier des militaires qui appauvrie les peuples et rétrécie les marges de manœuvre et les libertés publiques. Cette tonalité est à retrouver dans de nombreux médias qui en défendant les libertés tentent de manière machiavélique d’y inclure ceux que certains considèrent comme les ennemis de la liberté.

Et puis il y a un troisième pôle de soutien au régime de Bouteflika. Il vient d’Iran et de Syrie. Une » reconnaissance et une solidarité entre régimes autoritaires. Un renvoi d’ascenseur au profit de Bouteflika qui n’a jamais critiqué ni les dérives sanglants du régime de Bachar El Assad ni la politique agressive et expansionniste du régime iranien. Pour ces pays, Bouteflika reste un allié précieux qu’il faut défendre à tout prix et dont il faut lustrer l’image et polluer l’image du Hirak algérien. L’Iran est un pays en proie à des contestations sociales qui aspirent à renverser le régime. Il n’est donc pas dans son intérêt qu’une telle révolte algérienne contre le système en place puisse réussir.

C’est d’ailleurs de ces pays qu’est sortie la grande et fumeuse théorie du complot qui vise à mettre derrière la colère des Algériens « une alliance américano-sioniste » dont « le quartier général se trouve au Maroc pour téléguider les opérations de déstabilisation de l’Algérie ». Ces théories sont signées par Mohamed Sadek Husseini , une plume iranienne aux obsessions complotistes fantaisistes. Ces accusations portées contre le Maroc ont donné lieu à une sortie du ministre marocain des Affaires étrangère Nasser Bourita qui avait rappelé les fondamentaux des choix diplomatiques marocains à l’égard de l’Algérie : « Le royaume marocain a décidé de se tenir à une attitude de non-ingérence par rapport aux récents développements en Algérie, et s’est abstenu de tout commentaire à ce sujet (…) Le Maroc n’a ni à se mêler des développements internes que connait l’Algérie, ni à les commenter".

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