Les Algériens s’installent dans la crise

par Mustapha Tossa

Pour l’Algérie post-Bouteflika, les vendredis se suivent et se ressemblent terriblement. Les algériens que rien ne décourage, sortent avec une régularité de métronome, manifester en nombre, crier leurs colères contre le « gang » qui les gouverne depuis des années et leur soif de changement. Et l’armée par la posture iconique de son chef Ahmed Gaid Saleh s’accroche à son unique doctrine : comment organiser une transition illusoire pour donner cette impression que tout change pour que rien ne change. Les algériens et leur armée se sont installés depuis seize semaines dans ce jeu de dupes entre une opinion avide de changement et une armée mue par son seul instinct de conservation et de survie.

Dans ce bras de fer installé dans la durée, ni la traduction sélective de quelques symboles de la corruption d’état devant les tribunaux, ni la promesse solennelle de laver plus blanc demain n’ont permis de calmer les esprits et de satisfaire les revendications. Toutes les démarches entreprises par Ahmed Gaid Salah ont sonné dans l’opinion comme une volonté de perpétuer ce système tant honni par les algériens. Alors que le manifestations exigent une purge radicale de ce système, la grande tendance aujourd’hui est de lui trouver une transition aussi douce que possible pour le régénérer.

Depuis le lancement de ce Hirak algérien, des lignes de fractures ont fini par définir ses grands enjeux. Et la grande polémique qui secoue les plateaux de télévision aujourd’hui se résume à cette interrogation: pour satisfaire les demandes légitimes des manifestations, faut-il passer obligatoirement par le démantèlement de l’ensemble du sytème au risque de toucher aux structures régaliennes de l’État et créer ainsi le grand vide susceptible de favoriser le chaos? D’un autre côté, n’est-ce pas que c’est au nom de cette grande angoisse sécuritaire que les tenants de cette transition douce tentent de justifier l’absence de grandes décisions radicales aptes à satisfaire les demandes populaires de mettre fin au népotisme et la corruption, maux endémiques du régime algérien.

Si les divergences autour de la nature de ces thérapies existent et nourrissent le débat d’une riche parole subitement libérée, il y a jusqu’au jour d’aujourd’hui sur le déroulement des manifestations un consensus sur leur caractère pacifique. Émaillé de quelques tensions et de quelques escarmouches, ce Hirak continue de préserver une dimension paisible et presque bon enfant qui contredit ouvertement aussi bien le tempérament éruptif des algériens que la gravité sécuritaire de la situation.

Depuis de longues semaines, l’Algérie évolue sur un fil de rasoir qui menace à chaque instant sinon de la replonger dans les années de braise qui avaient marqué au fer rouge sa mémoire nationale du moins lui faire subir le sanglant scénario soudanais où après de multiples tentations de négociations, l’armée a fini pour tirer sur les foules, histoire de disperser les rassemblements populaires.

D’ailleurs le scénario soudanais commence réellement à hanter les esprits algériens. Sauf à s’installer dans la durée avec l’habitude de voir les étudiants squatter la rue les mardis et les autres citoyens faire du vendredi leur respiration sociale naturelle au risque de provoquer une panne permanente de l’économie du pays et de son réacteur politique, la situation ne peut se poursuivre impunément. Il va bien falloir un moment ou un autre ou satisfaire les revendications des manifestions ou les convaincre par d’autre moyens de ne plus se livrer à cet exercice hebdomadaire d’exhiber leurs amertumes dans la rue.

L’impasse à laquelle est parvenu le dialogue entre civiles et militaires au Soudan peut aisément déteindre sur la relation de plus en plus conflictuelle que les algériens commencent à entretenir avec leur armées. Dans ces derniers semaines, le feu de la critique a été concentré sur la personne d’Ahmed Gaid Salah accusé par les animateurs du Hirak d’avoir voulu contourner les grandes causes à l’origine de leur rebellions contre le cinquième mandat de Bouteflika. Le flagrant échec des élections présidentielles du 4 juillet issue de l’agenda constitutionnel, faute de candidats et faute d’intérêt populaire pour ce scrutin, est un spectaculaire désaveu de l’ensemble de la stratégie mise en œuvre pour sauver « le système ». Plus que jamais l’armée algérienne se trouve sous pression de devoir imaginer des solutions pour éviter l’inévitable confrontation violente avec la rue.

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