Le sale boulot de Tsahal attaqué par 43 soldats d’élite

Des réservistes d’une unité du renseignement israélien dénoncent leur mission dans les Territoires.
Par AUDE MARCOVITCH

Depuis qu’il a décidé de raconter son service dans la prestigieuse unité 8200 des services de renseignements militaires israéliens pour dénoncer des pratiques qu’il juge immorales, D., 29 ans, a de la peine à dormir. «Nous appelons tous les soldats servant dans les unités de renseignements, passées et présentes, de même que tous les citoyens d’Israël, à dénoncer ces injustices et à prendre des actions pour y mettre fin. Nous croyons que l’avenir d’Israël en dépend.» C’est ainsi que se termine la lettre que 43 anciens officiers et soldats de cette unité ont envoyée au Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, au chef d’état-major et au directeur des services de renseignements militaires. «J’ai un sentiment d’urgence, je participe à cette action parce que je suis inquiet pour Israël, parce que le rôle des services de renseignements dans les Territoires occupés me préoccupe, parce que je comprends la responsabilité que j’exerce dans le cycle de la violence», explique D.

Écoutes. Dénoncer les activités de l’unité 8200 met ses membres en porte-à-faux avec la manière dont leur unité est perçue dans la société israélienne. «Je sais que je fais partie d’une unité d’élite mais je regarde maintenant les choses que j’ai faites différemment et je ne me sens plus très "élite"», raconte Noa, 26 ans, réserviste de 8200. Cette unité combattante est spécialisée dans les systèmes d’origine électromagnétique et le déchiffrement de codes. Elle est responsable des écoutes téléphoniques, de la lecture des mails, du décryptage. Les données récoltées sont transmises pour analyse et utilisées pour préparer les actions sur le terrain. L’unité est soumise à l’Aman, la direction du renseignement militaire de Tsahal.

Sa réputation s’est accrue ces dernières années avec la réussite de nombreux entrepreneurs de la high-tech israélienne qui y ont fait leurs premiers pas avant de développer des compagnies comme Check Point (sécurité informatique) ou ICQ (messagerie). Président de l’association des anciens de l’unité 8200, Nir Lempert raconte que le recrutement se fait en amont du service militaire, grâce à des tests scolaires pour détecter et enrôler les meilleurs élèves. Les conditions de travail, qui mêlent technologie et renseignement opérationnel, obligent les recrues à «trouver des solutions très rapidement, pour des missions significatives qui peuvent sauver des vies humaines», explique Nir Lempert.

«Enfer». Mais selon les 43 refuzniks, leur rôle va au-delà du contre-terrorisme et ne fait que prolonger l’occupation militaire des Territoires palestiniens. Ils dénoncent l’abus de la collecte d’information sur une population qui n’a pas la possibilité de se défendre par voie légale. «J’ai recueilli des informations sur des gens qui étaient accusés d’attaquer des Israéliens ou qui avaient le désir d’attaquer des Israéliens ; de même que j’ai recueilli des informations sur des personnes complètement innocentes dont le seul crime était qu’ils intéressaient le système de défense israélien pour différentes raisons. Si tu es homosexuel et que tu connais quelqu’un qui connaît une personne recherchée, Israël va faire de ta vie un enfer. Si tu as besoin d’un traitement médical en Israël, en Cisjordanie ou à l’étranger, nous irons te chercher. Israël te laissera mourir avant qu’on te permette de sortir pour obtenir le traitement si tu ne donnes pas les informations sur ton cousin qui est recherché», témoigne un ancien soldat de l’unité.

Ce n’est pas la première fois que Tsahal est confronté à des soldats critiques de ses méthodes. Notamment au moment du service militaire obligatoire, qui appelle des jeunes hommes et jeunes femmes pour deux et trois ans, à partir de 18 ans. La particularité de la «lettre des 43» est qu’elle touche une unité particulièrement prestigieuse, au cœur du système.

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