Le salaire des Algériennes convoité par les époux

De plus en plus d’Algériennes travaillent mais leur salaire est source de conflits, des hommes mettant la main sur les émoluments de leur épouse, qui sont souvent contraintes de recourir à la justice.

"C’est un harcèlement financier. Il s’agit d’un phénomène très dangereux qui a été longtemps gardé sous silence", estime l’avocate Fatma-Zohra Benbraham.

En dix ans, le taux d’emploi des femmes est passé de 10,2% en 2005 à 13,6% en 2015. Près de deux millions d’entre elles ont aujourd’hui un emploi, selon des chiffres officiels. Un chiffre qui représente 18% de la population active totale.

Ce phénomène s’est accompagné par une augmentation des divorces dont le nombre a presque doublé en dix ans, pour atteindre le chiffre d’environ 60.000 par an.

Or selon Mme Benbraham, l’argent, et plus particulièrement le salaire des femmes, est aujourd’hui la "cause principale" des divorces.

Il arrive que la femme active subisse un véritable chantage financier: si elle refuse de laisser son conjoint disposer à sa guise de son salaire, elle est privée de travail et condamnée à rester à la maison ou elle est même répudiée.

Parfois, c’est le père, voir un frère, qui veut contrôler ce revenu.

Pour échapper à la mainmise de l’époux sur leur argent, "beaucoup de femmes préfèrent divorcer pour garder leur salaire pour elles et leurs enfants", indique Mme Benbraham.

Face aux abus, le Parlement avait adopté en 2015 une législation permettant aux femmes de préserver leurs ressources financières des convoitises des hommes.

Cette loi prévoit six mois à deux ans de prison pour "quiconque exerce sur son épouse des contraintes afin de disposer de ses biens ou de ses ressources financières".

Mais certaines femmes dépossédées de leurs revenus estiment que la loi ne les protège pas assez.

"Je ne vois jamais mon argent, c’est mon mari qui retire tout (…) La loi doit nous protéger", témoigne dans le quotidien El Watan une femme, identifiée par le seul prénom de Nadia.

Cette pratique s’explique principalement par la culture patriarcale de la société algérienne, analyse Nourredine Bekis, professeur en sociologie à l’université d’Alger.

"On a inculqué aux garçons que le pouvoir financier constitue la base pour asseoir la domination masculine", explique-t-il à l’AFP.

Traditionnellement dans la famille arabo-musulmane, c’est en effet l’homme qui subvient aux besoins de son épouse et de ses enfants, et l’argent que possède la femme est réservé exclusivement à l’usage personnel de cette dernière.

Plus soucieuses de préserver leurs foyers dans un pays où le divorce reste mal perçu, bien des femmes n’ont pas d’autres choix que de se soumettre à ce diktat.

Le débat sur le droit des femmes à disposer librement de leurs salaires a été relancé récemment avec une proposition de la ministre de la Famille et de la condition de la femme, Mounia Meslem.

Cette dernière a provoqué un torrent de critiques sur les réseaux sociaux après avoir appelé les épouses à reverser leurs salaires à l’Etat pour l’aider à faire face aux difficultés financières nées de la chute des prix du pétrole, principale ressource du pays.

"Nous pouvons aider notre pays (…) Ce ne sont pas nos revenus qui nous font vivre mais plutôt nos maris qui prennent soin de nous", a déclaré la ministre à la chaîne de télévision privée El Bilad.

Nombre d’internautes ont estimé que sa proposition traduisait un "recul" de la cause féminine dans le pays.

AFP

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