Le mal de vivre des Algériens avec la France

Le dialogue politique est devenu quasi inexistant entre la France et l’Algérie, à cause de l’ombre de la colonisation, une situation embarrassante pour nombre d’Algériens; La France et l’Algérie pourront-elles un jour avoir des relations apaisées ? La question demeure prioritaire, 48 ans après l’indépendance algérienne.

Le mal de vivre des Algériens avec la France
Aujourd’hui, le dialogue ne passe plus entre Paris et Alger. « C’est comme si chaque vieille garde, côté français comme côté algérien, n’en finissait pas de vouloir réveiller le passé sans vouloir le panser », note le sociologue algérien Mourad Zitouni.

« Les premiers à rouvrir profondément les blessures ont été les Français », assure-t-il, avec le vote sur la loi du 23 février 2005 qui stipule dans son article 4 « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », éloge évident de la colonisation pour Alger. Vint la réaction en décembre 2005 : le président Abdelaziz Bouteflika demande alors que le mot « repentance » concernant la colonisation figure en préalable à la signature du traité d’amitié. Paris refusa et la signature d’un traité d’amitié fut reportée sine die.

Depuis, le mot « repentance » est au cœur des relations franco-algériennes. Cinq ans que cela dure. Le fait que le président Jacques Chirac ait attendu un an pour abroger en 2006 le fameux article 4 a ajouté à la tension. Au même moment, le chef de l’État algérien avait dénoncé, le 9 avril 2006, « un génocide de l’identité algérienne » durant la colonisation avant de se faire hospitaliser le lendemain… à Paris.
Une proposition de loi «criminalisant le colonialisme français»

« C’est un peu comme si l’on serinait sans cesse en haut lieu à Alger, “jamais avec la France, mais jamais sans elle”, comme le font dans la vie les couples qui se déchirent », remarque avec humour Ali Boutafou, 40 ans, professeur d’histoire, tout en soulignant plus sérieusement, en accord avec Mariam et Hicham, 22 ans, étudiants : « Comment voulez-vous qu’on regarde la France d’un air apaisé puisque lors de nos études, du primaire au secondaire, puis à l’université, on nous parle de notre histoire qui passe essentiellement par 132 ans de colonisation française ?

Alors, ne nous demandez pas de ne pas penser que la France n’est pas responsable de nos maux ! Faites le calcul, plus d’un siècle de colonisation face à quarante-huit ans d’indépendance !»

Du coup, quand une proposition de loi « criminalisant le colonialisme français » fut déposée le 13 janvier de cette année devant le Parlement algérien, nombreux furent les Algériens à déclarer « c’est une bonne chose », sans remettre en question les relations personnelles, amicales, avec la population française.
Ce sentiment d’avoir « une histoire à part »

Que ce projet soit reporté sine die, comme c’est le cas aujourd’hui, trois mois après, ils n’en font pas une affaire et se souviennent à peine des déclarations du président Nicolas Sarkozy qui avait dénoncé il y a trois ans « le système colonial profondément injuste » et insisté sur un point : « On ne peut pas demander aux fils de s’excuser des fautes de leur père. » Ils ont seulement remarqué qu’entrer en France impose de nouvelles contraintes, l’Algérie étant sur la liste des pays à risque terroriste.

« Nous sommes jugés sur notre faciès… d’arabe », juge amèrement Djamila, femme d’affaires. En mesure de rétorsion, Alger « a pris lundi 15 mars les visas en otage », selon le mot d’un site algérien CityDZ : il est ainsi encore plus difficile qu’avant pour un Français d’avoir un visa…

Ce sentiment d’avoir « une histoire à part » est revenu de manière traumatisante à la figure des Algériens en novembre 2009 lorsque les médias égyptiens se sont mobilisés pour «insulter un pays qui serait encore français si nous ne l’avions pas sorti de sous la botte des colons ! » C’était suite à l’élimination mal digérée des Pharaons, la célèbre équipe de football égyptienne, par les Algériens, en éliminatoires de la Coupe du monde de juin 2010.
«Nous sommes obligés de rester sur nos gardes»

« Dans le même temps, et c’est toute la subtilité des brassages du temps, les télévisions françaises ont soutenu les Algériens agressés physiquement au Caire », rappelle le jeune Ali Draia. À l’actif de la France plurielle d’aujourd’hui : « Les lignes ont bougé en quelques semaines. Les ennemis, c’était l’Égypte, les alliés, c’était la France. Dans un moment crucial de la vie d’une nation, cela donne à réfléchir. »

Karim Djakhouni, architecte, 45 ans, ose le dire : « Les Algériens ont tort de continuer à juger la France comme responsable de leur mal-être. Moi je n’ai pas de problème avec la France, même pas avec la France coloniale. Regardez ce que nous sommes devenus. Nous nous sommes entre-tués. Nos femmes sont voilées. Et nous sommes obligés de fuir par centaines de milliers en Tunisie pour passer des vacances parce que là-bas, il y a la sécurité. Nous n’aurions jamais dû chasser les pieds-noirs. Voyez ce que sont devenues nos villes. La faute à l’OAS ? Ce n’est pas mon avis. Nous ne savons vivre qu’entre nous. »

Karim, lui, s’est expatrié en Tunisie, n’ayant plus envie de vivre en Algérie. N’allez pas répéter ce discours devant un jeune colonel de la Sécurité militaire algérienne : « Nous sommes obligés de rester sur nos gardes. On ne sait jamais très bien avec quelle partie de la France nous traitons. Celle qui regarde vers l’avenir ou celle qui a fait voter la loi qui rend “positif le colonialisme”.
«Nous n’oublierons jamais nos martyrs »

Les discussions avec Paris, c’est spécial, s’exclame-t-il. Dans ma vie professionnelle, l’armée française est rarement du même côté que moi. Au Sahara occidental dans les années 70, notre armement donné au Polisario a été bombardé par des Mirage français. Aujourd’hui, la France est du côté de la puissance occupante, le Maroc. »

Méziane, lui, approche de la quarantaine. Il vit à Azazga en Kabylie, où son commerce bat de l’aile. « Nous recevons 200 € par mois de pension pour mon père décédé en France dans les années 80 dans un accident de travail. Ici tout le monde à un parent qui “bricole” là-bas. Pour nous, c’est important qu’il n’y ait pas de problèmes entre les deux pays. Pour ce qui est du passé, nous n’oublierons jamais nos martyrs », conclut-il fébrilement.
«Difficile de percer à Paris lorsqu’on est d’origine algérienne»

Aux abords du lycée français Alexandre-Dumas de Ben-Aknoun, sur les hauteurs d’Alger, Katia et Fairouz attendent le ramassage parental de fin de journée. La première va passer son baccalauréat et se prépare à poursuivre ses études en France : « Je veux faire de la photo et j’espère entrer à Louis Lumière. Chez nous, le niveau est tellement faible. J’ai une cousine qui vit à Paris et qui me dit tout le temps qu’au fond rien n’a changé, que les Français n’aiment pas les musulmans et qu’il est difficile de percer là-bas lorsqu’on est d’origine algérienne. »

Fairouz, lui, était, le 1er mars 2009, à la salle de la coupole à Alger pour le tournoi de l’amitié Algérie-France. « J’ai vu Zidane avec ses copains champions du monde. Il était heureux avec le maillot de l’équipe de France et le drapeau de l’Algérie. Entre nos deux pays cela devrait être comme cela. Mais je sais que cela n’est pas possible. Pas encore. »

(LA CROIX) Julia FICATIER et Amine KADI (à Alger)

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