Le jour où Marine Le Pen s’est « noyée »

Alors que sa campagne est critiquée en interne, des proches de la candidate frontiste reviennent sur la soirée du débat de l’entre-deux-tours.

Que s’est-il passé le soir du débat de l’entre-deux-tours pour Marine Le Pen. Plus de deux mois après, ses proches essaient toujours de comprendre ce naufrage face à Emmanuel Macron. Le mercredi 3 mai en début de soirée, la présidente du FN entre sur le plateau télévisé pour jouer sa dernière carte. Distancée alors encore de vingt points dans les sondages, « elle devait jouer le tout pour le tout », résume le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just.

Vingt-quatre heures plus tôt, BFM TV annonce qu’Emmanuel Macron quittera le plateau s’il sert de « punching ball » à son adversaire. « On est tombés dans le piège », se maudissent après coup plusieurs frontistes. Dans la frénésie de ces deux semaines capitales, une stratégie a en effet été adoptée : « Agressive » ? « À l’attaque », euphémise un mariniste. Ses promoteurs, accusent de nombreuses sources, sont deux conseillers : pas Florian Philippot, fréquemment rendu responsable des maux frontistes, mais son frère Damien, et surtout Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen. « Je lui ai recommandé, dans une stratégie de challenger qu’elle était, d’essayer évidemment pas d’être agressive, mais à l’offensive, ça allait de soi », évacue le premier. « Ce n’est pas vraiment moi », assure le second.

« Poudre de perlimpinpin »

Devant 16,5 millions de téléspectateurs, la patronne du FN attaque violemment son adversaire, sans guère le regarder, mais en plongeant constamment le nez dans ses fiches, quand Emmanuel Macron la fixe et s’exprime sans notes. Grands gestes des bras pour l’une, « poudre de perlimpinpin » pour l’autre… Après trois heures de joute, Marine Le Pen retrouve dans sa loge une dizaine de frontistes partagés sur la performance. Certains, dans le feu de l’action, ont trouvé le débat réussi, d’autres « flagornent », selon plusieurs présents… Marine Le Pen, elle, ne sait pas encore que penser.

Quelques-uns décèlent pourtant vite un échec. « J’ai compris au bout de cinq minutes que ça n’allait pas. On avait demandé au CSA à avoir une carte blanche [permettant de s’exprimer sur un sujet libre, NDLR]. Juste avant le début du débat, elle a dit qu’elle ne l’avait pas préparée », confie un dirigeant. « Elle n’était pas au niveau, un peu vulgaire », lâche un autre. Marine Le Pen a rapidement « senti d’elle-même que le débat était raté », confie son compagnon Louis Aliot, vice-président du FN. Dix jours après la défaite, elle reconnaît un débat « raté », avant « d’assumer », fin juin, une « erreur stratégique » dans son attitude, sans compter « un temps de préparation […] insuffisant » et « un agenda beaucoup trop chargé » qui l’ont « noyée ».

Sur les premières images du débat, son visage est marqué. « Elle n’a pas dormi la veille », raconte une petite main de la campagne. Au cœur de l’entre-deux-tours, elle multiplie les rendez-vous pas toujours opportuns : déplacements-éclairs à l’autre bout de la France ou rencontre, la veille du débat à 21 h 30, avec une trentaine de membres d’un inconnu « Collectif des Africains » créé ad hoc. Dans son camp, certains assument collectivement avoir mal préparé le rendez-vous. Mais dès le lendemain, de nombreuses voix s’en prennent à la chef, jusque-là incontestée. Petites mains de l’équipe de campagne, plusieurs jeunes philippotistes accusent leur ex-championne de « dilettantisme » dans la préparation du débat. « Elle n’avait pas lu les fiches, elle a répondu à côté de la plaque », s’agace l’un d’entre eux. « On nous a demandé des notes très générales à 13 h 22, le jour du débat ! Elle a humilié nos idées ! » s’étrangle un autre.

« Plus coriace »

Fataliste, Wallerand de Saint-Just remarque que Marine Le Pen est aussi « tombée sur quelqu’un de plus coriace qu’elle ne le pensait ». Résultat, « 40 députés et des millions de voix » perdus, a confié Florian Philippot à un proche. À la place du groupe FN tant espéré à l’Assemblée, huit députés non inscrits et de nombreux espoirs déçus, tandis que le FN entame une douloureuse « refondation » aux allures de boîte de Pandore. Marine Le Pen espère néanmoins que les Français et les sympathisants frontistes lui accorderont d’avoir « mis en lumière » la politique néfaste que va, selon elle, mener le nouveau chef de l’État.

Nombreux en doutent : « N’importe quel Français sincère et lucide sait qu’elle ne sera jamais présidente de la République, ni dans cinq, ni dans dix, ni dans quinze ans », a sévèrement tranché à la mi-mai Julien Langard, ancien responsable du FN dans le Vaucluse, en annonçant son départ. « Marine a vautré lamentablement la campagne. Elle est discréditée », balaie un soutien de Marion Maréchal-Le Pen. Au Point, l’ancien numéro deux du FN Bruno Mégret a eu cette formule appréciée par plusieurs frontistes : « Si le point de détail a donné un coup d’arrêt à la progression du FN de Jean-Marie Le Pen, le débat sera sans doute le point de détail de Marine Le Pen. »

afp

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