Le chef du Gouvernement espagnol au Maroc : une bise à l’arrivée, deux à son départ

Abdelilah Benkirane n’a pas pu, mercredi matin à Rabat, embrasser son homologue espagnol Mariano Rajoy, sur les deux joues, comme le font entre eux les amis dans le monde arabe alors qu’en Espagne ils ne se font que l’accolade. A peine a-t-il effleuré la joue droite de son hôte espagnol que celui-ci s’est raidi et Benkirane, plus petit que lui, s’est vu obligé d’interrompre la manœuvre d’approche que d’autres hommes politiques marocains n’auraient même pas osé entamer.

Le chef du Gouvernement espagnol au Maroc : une bise à l’arrivée, deux à son départ
Benkirane, 57 ans, le premier islamiste chef de gouvernement au Maroc, était venu accueillir Rajoy, 56 ans, sur le tarmac de l’aéroport de Rabat-Salé. C’était la première visite à l’étranger du président du gouvernement espagnol et c’était aussi le premier dignitaire étranger que recevait Benkirane depuis sa nomination par le roi Mohamed VI. Et il a innové en matière de protocole.
.Même si son beau frère, Francisco Millán, a été en poste à l’ambassade d’Espagne à Rabat et même si lui-même s’est rendu au Maroc en tant que ministre de l’Intérieur du président José María Aznar (1996-2004), Rajoy ne connaissait pas grand chose à son voisin du sud. Contrairement à d’autres hommes politiques de son parti, comme l’andalou Javier Arenas, qui est venu en famille, fin décembre à Marrakech, Rajoy n’y a jamais passé ses vacances.

“Je n’allais pas m’y aventurer, il y a eu des manifestations contre moi”, rappelait-il il y a quelques mois à un de ses amis qui lui demandait pourquoi il n’avait pas choisi le Maroc, plutôt que les Canaries, pour se reposer en famille pendant quelques jours. Rajoy faisait allusion au cortège qui, en novembre 2010, parcourut Casablanca, en conspuant son nom. A la tête du défilé se trouvait la moitié du gouvernement marocain de l’époque à commencer par le premier ministre, Abbas el Fassi.
A table, à la Maison des Hôtes Royaux de Rabat, avec Benkirane et avec cinq de ses ministres, Rajoy a donc posé des questions très basiques: “Cuisine-t-on au Maroc avec du beurre ou de l’huile?”. Benkirane lui a répondu que, comme en Espagne, on cuisine à l’huile d’olive et son ministre des Affaires Étrangères, Saaed el Othmani, médecin-psychiatre de profession, s’est empressé de vanter les vertus de ce produit.

Car, même si les sujets de frictions ne manquent pas entre l’Espagne et le Maroc, les hommes politiques ne parlent pas que de politique, rapporte une personnalité marocaine qui a suivi de près la visite de l’hôte espagnol. Benkirane s’est inquiété de la maigreur de son invité, qui fait du footing sur place tous les matins, et l’a encouragé à goûter les huit plats copieux du repas qui leur a été servi. Il a surtout insisté sur les gâteux d’origine andalouse, d’après lui. Rajoy se régala.

Avec les marocains on parle forcement de la famille. Même si certains de ses ministres sont polygames –l’Islam le permet-, Benkirane lui n’a qu’une femme, qui parle d’ailleurs espagnol, avec laquelle il se fiança à l’âge de 17 ans même s’il se maria plus tard. Le couple a eu six enfants dont l’un milite dans les rangs du Mouvement du 20 Février qui réclame davantage de démocratie. Rajoy, lui, se maria quand il était déjà ministre, à l’âge de 41 ans. Benkirane trouva « intelligent » d’avoir su attendre d’être au gouvernement pour prendre femme.

Rajoy lui expliqua qu’il avait prévu de se marier le 27 décembre 1996 mais un vote au Congrès des Députés espagnol l’obligea à retarder d’un jour son union avec Elvira Fernández Balboa, avec qui il a eu deux enfants. Il se maria donc le 28 décembre, ce qu’on appelle en Espagne le jour des Innocents, équivalent au Poisson du 1er avril en France ou à l’April’s Food en Angleterre. Malgré cela, précisa-t-il, son mariage n’avait rien d’une blague et tous en rirent à table, d’après le témoin marocain du repas.

Il ne leur manqua que de parler salaire. Benkirane se serait sans doute surpris d’apprendre qu’il gagnait plus (100.00 dirhams par mois ou 9.016 euros) que son homologue espagnol qui, après plusieurs rajustements dus à la crise, ne touche que 6.515 euros bruts. Les ministres espagnols sont aussi moins bien payés que les marocains.

Chaleureux, Benkirane le fut aussi en public quand il affirma devant la presse avoir découvert en son hôte un homme « sympathique, aimable et très capable » d’assumer ses hautes responsabilités. Rajoy ne put alors s’empêcher de demander aux journalistes de bien prendre note.

Le président espagnol prend des cours d’anglais et garde des vagues souvenirs du français qu’il a appris à l’école secondaire à Saint Jacques de Compostelle. Benkirane, lui, s’exprima tantôt en arabe tantôt dans un français approximatif. Quand il choisit la langue de Molière, Rajoy fit des efforts pour ne pas avoir recours à l’interprète. « La prochaine fois on peut se passer de lui », affirma Benkirane jovial comme à son habitude.

Là où Rajoy n’eut pas besoin d’interprète ce fut pendant l’audience avec Mohamed VI au palais royal. Celui-ci ne s’exprima qu’en espagnol, une langue qu’il apprît surtout grâce à ses nounous espagnoles au palais que son père, Hassan II, prit soin d’embaucher. Cette-fois ci ce fut le ministre des Affaires Étrangères marocain qui eut besoin d’une traduction.

Dans l’après midi de mercredi Benkirane raccompagna Rajoy à l’aéroport et là il y put l’embrasser sur les deux joues sans que celui-ci fasse quoi que ce soit pour l’esquiver. Le courant était passé.
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