Le Vicaire, le Sniper et l’intérêt national

Le triptyque, « Le vicaire, le Sniper et l’intérêt national », pourrait éveiller chez les lecteurs des souvenirs différents et contrastés : la Sainte Trinité pour le croyant chrétien, une œuvre peinte en trois panneaux pour l’amateur d’art, ou encore, pour les férus des westerns spaghettis, le fameux film Le Bon, la Brute et le Truand, réalisé par Sergio Leone en 1966.
Chez l’observateur de la vie politique nationale, ce triptyque renvoie sitôt à ce jeu de massacre que se livrent sans merci des acteurs originaux, farfelus et comiques. Action.

Le Vicaire, le Sniper et l’intérêt national
Le triptyque, « Le vicaire, le Sniper et l’intérêt national », pourrait éveiller chez les lecteurs des souvenirs différents et contrastés : la Sainte Trinité pour le croyant chrétien, une œuvre peinte en trois panneaux pour l’amateur d’art, ou encore, pour les férus des westerns spaghettis, le fameux film Le Bon, la Brute et le Truand, réalisé par Sergio Leone en 1966.
Chez l’observateur de la vie politique marocaine, ce triptyque renvoie sitôt à ce jeu de massacre que se livrent sans merci des acteurs originaux, farfelus et comiques. Action.

Scène 1 : Ils se coalisent
Le 25 novembre 2011 au soir, le doute et l’incertitude qui planaient, comme de bien entendu, sur la régularité des élections législatives anticipées sont levés et la victoire du PJD fut confirmée (107 élus). Le 29, son Secrétaire Général est nommé chef du gouvernement conformément à l’article 47 de la Constitution de 2011. S’ouvre alors une longue (35 jours) et pénible période de négociations et de conciliabules qui ne trouve son terme que le 3 janvier 2012 dans la nomination par SM le Roi des 31 ministres du trentième gouvernement du Maroc indépendant.
Fait surprenant, dès son dévoilement, le nouveau gouvernement du Maroc semble porteur des germes de la tension. Il donne l’impression du « trop peu » et de ne pas être suffisamment vacciné contre ce virus si répondu qui est le reniement de promesses clamées pendant la phase électorale. La parité fut le premier principe à subir l’outrage du reniement des engagements avec la nomination d’une seule femme à un poste ministériel. Mais c’est surtout une suite de mesures restrictives et incompréhensives, à mille lieux de l’esprit de la Constitution, qui va donner la mesure de la volonté du nouveau gouvernement d’aller loin dans le sens de la réforme et du changement.
A force de tanguer et de louvoyer, la solidarité gouvernementale, mise à rude épreuve, commence à se fissurer. La tension va monter de plusieurs degrés à mesure que les attaques se multiplient et que le jeu politique se transforme en cirque, que l’enceinte parlementaire et les médias deviennent des lieux de confrontations et de débats indigestes et ennuyeux, alors que des dossiers sensibles attendent des réponses, alors que la cause nationale est en difficulté dans les instances internationales, alors que la crise économique s’installe dangereusement dans le pays mettant à mal les couches les plus précarisées de la société.

La décision de l’Istiqlal de se retirer du Gouvernement est finalement une décision salutaire. En accélérant le rythme de la déliquescence de la coalition, en révélant ses travers, et même si elle ouvre une porte vers l’inconnu, cette décision est une bouée de sauvetage tendue à une coalition à la dérive pour lui permettre de sauver l’honneur et de donner au pays une autre chance pour corriger le tir et rattraper le temps gaspillé dans des luttes surréalistes et contre productives.

Scène II : Ils se déchirent
Le mariage de la carpe et du lapin ne pouvait, en effet, enfanter que des naissances contre nature et conduire à l’aberration. C’était presque prévisible. Le premier parti de la coalition, l’Istiqlal (avec 60 sièges), dépositaire d’une histoire, d’une assise électorale et d’un référentiel religieux affirmés, ne pouvait longtemps se contenter de jouer au profit du PJD le rôle d’un alibi politique « bon marché » ou occuper la place d’une roue de secours, dégonflée et inutilisable. Il se rebiffe et se radicalise. L’arrivée d’un nouveau chef à la tête du parti ne pouvait que provoquer une nouvelle distribution des cartes. Le pire (pour le pays), c’est que cette arrivée a placé en face d’un Vicaire comédien et comique, un Sniper aguerri qui tire sur tout ce qui bouge et sur tout ce qui vient du PJD.

La troisième roue du carrosse, le Parti du Progrès et du Socialisme (avec 18 sièges), a avalé toutes les couleuvres mises sur la table des négociations par le PJD. Il a rangé son lexique idéologique au placard des vieux objets, pour rallier un parti qu’il a toujours fustigé et descendu à coup de slogans en « isme » (Fanatisme, islamisme, obscurantisme). Les idéologues du PPS vont jusqu’à sortir un concept d’un autre âge, le « Compromis historique », pour « justifier » et expliquer au pays comment ce parti « communiste ( ?)» envisage « le dépassement des divergences idéologiques » qui l’opposent à un parti islamiste. Allez donc comprendre !
La quatrième composante de la coalition, le Mouvement populaire (MP), s’est montré pour sa part gentiment conciliateur et finit par être récompensé de portefeuilles ministériels à la hauteur de son poids électoral ; peu glorieux (32 élus, soit 8,10%).
Ainsi, et au bout d’un an et demi d’exercice de pouvoir, cette coalition contre nature va se trouver nue. Elle a épuisé tous les subterfuges possibles et imaginables pour donner au pays l’illusion d’une solidarité gouvernementale sans faille. Mais, chassez le naturel, il revient au galop. Les divergences idéologiques et des ambitions personnelles démesurées et des calculs politiques compliqués ne tardèrent pas à remonter à la surface et gripper toute la machine institutionnelle.
Depuis un an et demi c’est plutôt à un spectacle affligeant, désolant, qu’assiste le peuple marocain un peu médusé et interrogatif : dans quelle galère le pays est-il embarqué ?

Scène III : la chute finale
Progressivement, et par la seule volonté d’acteurs qui ont perdu le sens de la mesure et de l’intérêt général, le champ politique marocain est devenu une arène où tout est permis : attaques personnalisées, évocation du diable et des démons, lavage de linge sale en public et autres coups tordus. Les Bons, les Brutes et les Truands se mélangent et se livrent à un combat sans merci. Le Sniper tire à boulets rouges sur le Vicaire et le Vicaire cherche à exhorter le sort et esquiver les coups de l’adversaire en évoquant Satan et ses légions maléfiques. Les stratégies politiques les plus improbables, les insultes les moins attendues, les métaphores les plus populistes se sont mises à pleuvoir. Le but étant d’exhiber les lacunes et les erreurs de l’autre parti en vue de le discréditer et ainsi capitaliser sur son échec politique.
A force, ce sont ces « coups bas », internes à la coalition, qui vont mettre à mal le travail du gouvernement et le conduisent vers une crise profonde; beaucoup plus que les « coups » de l’opposition qui a mis du temps pour se réveiller de la torpeur de l’échec de novembre 2011. Elle n’a tiré aucun avantage notable des prérogatives que lui confère la Constitution de 2011.
Cette opposition, qui se contente aujourd’hui de compter les coups et attendre la fin d’une pièce tragique jouée par des acteurs de série B, a du mal à présenter une alternative à un pays de plus en plus étouffé par une crise économique aigue et une société inquiète pour son avenir. Il semblerait même que certains partis de cette opposition, mal chaussée et mal inspirée, soient disposés à vendre leur âme au Vicaire et se rabibocher avec le PJD.

Tout compte fait, le Vicaire et le Sniper ont réellement pollué le climat politique.
Ils ont bradé l’intérêt supérieur du pays pour satisfaire un ego surdimensionné. Ils ont réduit le triptyque à un combat à deux (Vicaire et Sniper). Ils ont réduit le discours et le débat politiques à une pièce tragi-comique et transformé le champ politique en un champ de tir. Ils ont écœuré les jeunes et les vieux. Pire encore, ils ont porté atteinte à l’image de la classe politique marocaine et brouillé celle du pays à l’extérieur.
Qu’ils disparaissent donc ; le plus vite serait le mieux. Seul le pays compte. Seul l’intérêt supérieur de la nation doit primer.
Il est donc temps que le chef de l’Etat, garant de la continuité des institutions, de la Constitution (qu’ils ont du mal à concrétiser) et de la stabilité du pays, de mettre un terme à cette mascarade et, de ce fait, limiter les dégâts. Amine.

Mohammed MRAIZIKA (Chercheur en Sciences Sociales, Directeur du CIIRI-Paris)

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