La crise en Libye aggravée par un troisième gouvernement

Le rejet par les deux autorités rivales dirigeant la Libye d’un troisième gouvernement soutenu par l’ONU aggrave une situation déjà chaotique dans un pays où croît de jour en jour la menace jihadiste à 300 km de l’Europe, selon des experts.

Le gouvernement "d’union nationale", prévu par un accord parrainé par l’ONU, était censé mettre fin au conflit qui oppose deux "gouvernements" rivaux siégeant l’un à Tripoli et l’autre dans l’est, en reconstituant un pouvoir central.

Or, ce gouvernement d’union, qui s’est autoproclamé, a réussi à les mettre d’accord… mais contre lui!

"La naissance de ce gouvernement et de cette façon ne fait qu’aggraver la crise politique (…), engendrer de nouveaux conflits et déstabiliser davantage" la Libye, explique à l’AFP Mohamed Eljarh, expert libyen au Centre Rafic Hariri pour le Moyen-Orient, à Washington.

Si l’ONU et la communauté internationale espèrent faire en sorte que le gouvernement d’union siège à Tripoli, "cette orientation comporte des risques (…), ne serait-ce que du point de vue légal", ajoute-t-il.

En vertu d’un accord signé en décembre 2015 au Maroc, un conseil présidentiel composé de neuf membres de factions rivales a été créé pour proposer ce gouvernement d’union.

Pour être officiellement investie, l’équipe conduite par le Premier ministre désigné Fayez al-Sarraj devait obtenir un vote de confiance du Parlement reconnu par la communauté internationale, basé à Tobrouk, avant de s’installer à Tripoli, la capitale.

Mais le conseil a proclamé le 12 mars, depuis l’étranger, l’entrée dans ses fonctions du gouvernement d’union en se basant sur un simple communiqué de soutien de 100 parlementaires (sur 198) et sans le vote de confiance requis.

– Risque sécuritaire –

Avec un Premier ministre basé entre la Tunisie et le Maroc et des ministres dispersés dans différentes régions de Libye, le pouvoir d’action d’un tel gouvernement semble bien limité, soulignent les experts.

"La question la plus importante" est de savoir si dans cette configuration, ce gouvernement est "capable de fonctionner", relève Mattia Toaldo, expert au centre de réflexion European Council on Foreign Relations. "Le gouvernement d’union aura besoin de l’aide des différents acteurs libyens et sa légitimité demeurera faible tant qu’il n’y a pas eu de vote au Parlement", ajoute-t-il.

Dans sa déclaration annonçant l’entrée en fonction du gouvernement d’union, le conseil présidentiel a appelé à "mettre en place les modalités de passation des pouvoirs de manière pacifique et organisée".

Le conseil annonce depuis Tunis que le gouvernement s’installera bientôt à Tripoli mais sans expliquer comment, alors que la capitale est contrôlée par des milices armées qui s’opposent à lui.

Une installation qui paraît hypothétique alors que même le chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul) Martin Kobler n’a pas pu se rendre mercredi à Tripoli, son vol ayant été "bloqué".

Or la visite de M. Kobler visait à "préparer le terrain à l’installation du conseil présidentiel" dans la capitale libyenne.

Pour M. Eljarh, le gouvernement d’union "ne pourra pas s’installer à Tripoli tant que les principaux groupes armés ne lui ont pas prêté allégeance".

"La communauté internationale devrait être prête à lui fournir une protection militaire si besoin est. Est-elle capable d’intervenir si (le gouvernement Sarraj) le lui demandait?", s’interroge l’expert.

– Maillon faible –

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est déchirée par les violences entre factions armées, une instabilité dont profite le groupe Etat islamique (EI) pour étendre son influence.

Ce dernier s’est installé dans la ville côtière de Syrte et les pays voisins du Maghreb comme la Tunisie et l’Algérie redoutent d’être déstabilisés à leur tour.

Le chaos en Libye profite aussi aux trafiquants d’êtres humains alors que des milliers de migrants tentent de rejoindre l’Europe depuis ses côtes.

Pour contrer les jihadistes, la communauté internationale met tous ses espoirs dans le gouvernement d’union qui serait susceptible de demander une intervention militaire.

"Si la communauté internationale ne peut faire en sorte qu’il ait le contrôle des finances, d’une armée nationale forte et légitimée au regard du peuple, ce gouvernement est voué à devenir la plus faible des trois autorités en lice pour le pouvoir", souligne toutefois Michael N. Nayebi-Oskoui, spécialiste en stratégie géopolitique basé à Austin (Texas).

Et d’enfoncer le clou: "On est très loin de voir un gouvernement central et fort" en Libye.

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