La chute des faucons algériens

par Mustapha Tossa

Il y a un air d’immense incrédulité qui règne actuellement sur la scène politique algérienne. De tous les côtés, on voit fleurir des interrogations ébahies, des intonations sous le charme d’une dynamique de rupture aussi séduisante qu’inattendue. Qui aurait cru il y a à peine quelques mois que des hommes de la trempe d’Ahmed Ouyahia ou de Abdelmalek Sellal seraient non seulement traduits en justice mais emprisonnés dans un endroit aussi emblématique de la culture carcérale algérienne ? En l’espace de quelques courtes semaines, l’histoire s’est emballée faisant chuter ceux qui étaient protégés dans d’imprenables tours dans les sous-sols d’une justice avide de revanche et de reconnaissance.

Que des hommes d’affaires qui grenouillaient dans l’Etat de non-droit et de corruption endémique que le système Bouteflika avait érigé durant des décennies puissent être visés par la vindicte populaire et traduits devant la justice fut dans l’ordre naturel des évolutions…. Même si le choix sélectif des hommes d’affaires laissait entendre d’avantage une démarche de vengeance et de règlements de compte qu’une volonté de détricoter l’ancien système pour permettre la naissance d’une nouvelle ère, il n’en demeure pas moins que l’emprisonnement d’Ouyahia et de Sellal sonné le glas d’une nouvelle période qui installe forcément de nouveaux rapports avec le pouvoir quel qu’en soit le véritable détenteur.

Le grand frisson de satisfaction qui a parcouru les opinions algériennes à l’annonce de la mise sous le boisseau d’Ahmed Ouyahia montre le degré de rejet à l’égard d’une personne qui s’est montrée sans scrupules, sans valeurs, installée aux responsabilités juste avec la mission d’organiser le grand rapt de l’économie algérienne au profit de ce que le patron de l’institution militaire aujourd’hui désigné sous le vocable expressif de « bande » ou de « gang ». À l’ombre du président déchu Bouteflika, Ahmed Ouyahia incarnait ce que l’Algérie avait produit de pire dans l’art de mal gérer ses richesses, d’organiser les réseaux de ses détournements. Une machine sans âme pour saigner les algériens qui a fini par transformer un pays riche en un pays du quart monde, sans ambition économique que celle de détourner l’argent publique, sans ambiance politique que celle de se maintenir coûte que coûte, où le seul rêve de sa jeunesse est de quitter le pays sans billet de retour.

L’autre homme qui a fait l’événement carcéral algérien est Abdelmalek Sellal, un ancien premier ministre et farouche avocat du cinquième mandat jusqu’à ce qu’il soit éjecté sans ménagement de ses responsabilités de directeur de la campagne électorale qui allait installer Bouteflika au palais d’Al Mouradia comme président presque à vie d l’Algérie. Abdelmalek Sellal avait acquis une immense notoriété dans les réseaux sociaux à cause de sa capacité à produire des couacs à répétions qui trahissent à la fois son ignorance crasse de la chose politique. Son côté rustre et inculte aidé par sa démarche de grand dadais sans aucune finesse ni subtilité faisait le bonheur des algériens et ceux qui suivent l’actualité algérienne à cause des situations de comédies noires que ses sorties produisaient en Algérie comme à l’international. Sellal au pouvoir illustrait la grande décadence de la classe politique algérienne où n’importe quel écervelé peut assumer de hautes responsabilités pourvu que la cabinet noir lui trouve quelques grâces.

Cette séquence de la chute spectaculaire de ces hommes est une stratégie de la part de l’institution militaire algérienne dirigée par Ahmed Gaid Saleh destinée à tenter de convaincre une rue algérienne en ébullition du sérieux de sa volonté de démanteler les icônes de corruption de l’ancien système et qu’il n’est nullement question de procurer aucune forme d’impunité et de recyclage à quiconque. L’armée ne prend pas ces décisions de manière spontanée mais elle réagit sous la pression des manifestations hebdomadaires que les algériens animent sans relâche. Elle compte sur ce genre de décisions pour donner des gages et faire accepter les modalités de la période de transition qu’elle compte organiser pour enterrer définitivement les années Bouteflika et lancer les fondations d’un nouveau pouvoir.

Le grand hic dans cette stratégie réside dans la capacité du nouveau patron réel de l’Algérie post Bouteflika, Le général Ahmed Gaid Salah à convaincre ses détracteurs de plus nombreux et insistants que tous les méfaits politiques et économiques pratiqués par ces deux célèbres prisonniers d’Al Harrach ne l’ont a aucun moment éclaboussé ni lui ni sa famille.

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